IVG au Maroc : briser le silence, revendiquer le choix
Le collectif Printemps de la Dignité a tenu ce samedi, une conférence réunissant avocats, médecins spécialistes et psychologues pour plaider en faveur de la légalisation de l’IVG. L’événement a mis en lumière les dangers des avortements clandestins qui mettent en péril la vie des femmes, faute d’un cadre juridique encadrant l’interruption volontaire de grossesse au Maroc. Les détails.

Lors de cette conférence, des explications législatives, des débats psychologiques, des témoignages et des interventions de médecins, ont permis de créer un espace de partage et de plaidoyer en faveur de la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse.
Droit à l’IVG : Le combat continue
Le débat sur l’interruption médicale de grossesse est ancien et profondément lié aux discriminations faites aux femmes, à la privation de leurs droits fondamentaux, notamment « le droit à la santé, à la vie et à une interruption médicale sécurisée ».
Me Khadija Rouggany, avocate spécialisée en droit de la famille et militante associative, engagée dans la défense des droits de l’Homme et membre du Printemps de la Dignité, a rappelé que le débat sur l’interruption médicale de grossesse est ancien et profondément lié aux discriminations faites aux femmes, à la privation de leurs droits fondamentaux, notamment « le droit à la santé, à la vie et à une interruption médicale sécurisée ».
Chaque jour, des centaines d’interruptions de grossesse ont lieu dans des conditions non médicales et dangereuses, mettant en péril la vie des femmes.
Chaque jour, des centaines d’interruptions de grossesse ont lieu dans des conditions non médicales et dangereuses, mettant en péril la vie des femmes. En parallèle, de nombreux nouveau-nés sont abandonnés, et une proportion importante d’enfants naît sans filiation reconnue. Pourtant, le Code pénal continue de criminaliser l’interruption médicale de grossesse, malgré un arbitrage royal qui avait abouti à une proposition d’assouplissement.

La conférence a été marquée par la présence de témoignages de femmes victimes, qui ont partagé leurs histoires pour dénoncer l’absence d’un cadre légal permettant l’interruption volontaire de grossesse. Tous ces témoignages ont été recueillis et relayés par des militantes, portant la voix de celles qui n’ont pas pu s’exprimer elles-mêmes.
« Pourquoi la loi m’a-t-elle privée du choix que j’aurais voulu avoir ? »
Aujourd’hui, ma fille est gravement malade et je vis dans le regret. Pourquoi la loi m’a-t-elle privée du choix que j’aurais voulu avoir ?».
Lamyae*, 30 ans, raconte : «Je rêvais d’une vie meilleure, mais ma famille a arrangé mon mariage avec un homme de dix ans mon aîné. J’ai subi la maltraitance de mon époux et de ses parents, mais j’ai tenu bon pour mes enfants. Quand je me suis retrouvée enceinte après une relation hors mariage, le père a nié sa responsabilité. J’ai tout essayé pour mettre fin à cette grossesse, même en prenant du poison, mais en vain. Aujourd’hui, ma fille est gravement malade et je vis dans le regret. Pourquoi la loi m’a-t-elle privée du choix que j’aurais voulu avoir ?».
Tout cela parce que l’avortement est interdit, et que la société préfère me punir plutôt que de reconnaître l’injustice que j’ai subie.
Samia*, victime de viol par son oncle à 14 ans, a témoigné : «Quand ma famille a découvert que j’étais enceinte, ils m’ont forcée à garder l’enfant et de me taire. Les médecins ont refusé de m’aider. Dans le quartier, tout le monde me regardait avec mépris. Finalement, ma famille m’a envoyée accoucher dans une ville lointaine avant de m’obliger à abandonner mon bébé. Tout cela parce que l’avortement est interdit, parce que la société préfère me punir plutôt que de reconnaître l’injustice que j’ai subie».
Soukaina*, elle aussi victime d’une grossesse non désirée, a partagé : «Je vivais une histoire d’amour, mais quand je suis tombée enceinte, il m’a abandonné. J’ai tout essayé pour interrompre la grossesse, mais en vain. J’ai trouvé refuge auprès de l’association INSAF, qui m’a prise en charge. Deux années plus tard, j’ai appris que j’avais un cancer du sein. Aujourd’hui, je me bats pour survivre et élever mon enfant malade aussi».
Me Rouggany, estime que le pays tarde encore à apporter une solution à ce problème complexe, et que cette question est traitée par le mépris comme si on se cachait la tête dans le sable, refusant d’affronter la crise plutôt que d’y répondre de manière efficiente.
«L’avant-projet de loi 10-16, qui prévoyait une réforme incluant certaines exceptions, a été retiré par l’actuel ministre de la Justice. Plutôt que de réformer le Code pénal dans son ensemble, il a choisi de le fragmenter, en extrayant par exemple le projet de loi sur les peines alternatives », regrette Me Rogani.
Dans les nouvelles versions proposées du Code pénal, l’accès à l’interruption médicale de grossesse est encore plus restreint. En cas de grossesse résultant d’un viol, les conditions imposées sont extrêmement complexes et dissuasives. L’une d’elles exige que la victime dépose une plainte, alors que certaines femmes préfèrent ne pas le faire. Or, « cette réalité doit être respectée, conformément aux recommandations des Nations Unies en matière de lutte contre les violences faites aux femmes ».
La loi donne désormais au parquet la prérogative d’évaluer la recevabilité d’une plainte, ce qui ajoute encore des obstacles. Me Rogani souligne que ce ne sont pas seulement les femmes qui sont mises en danger, mais aussi les médecins. « Les nombreuses restrictions imposées par la loi, les exposent à des poursuites et à des sanctions, menaçant ainsi leur carrière et poussant le pays à gaspiller des compétences médicales précieuses, formées à grands frais. »
Elle appelle à « relancer et accélérer le débat afin d’aboutir à une loi garantissant ce droit aux femmes, et mettant fin aux dangers auxquelles elles sont exposées ».
« Notre intérêt, ne serait pas uniquement la légalisation de l’avortement, mais d’abord la santé de la femme »
Le professeur Chakib Chraibi, médecin et président de l’association marocaine de lutte contre l’avortement clandestin (AMLAC), a expliqué que depuis des années, il milite pour la légalisation de l’avortement, mais pas seulement. Il a également donné des exemples de cas qu’il a rencontrés au cours de toutes ces années. « Nous travaillons sur le volet juridique pour que la loi change en matière d’avortement, mais également sur la prévention des grossesses non désirées », a-t-il souligné.
Selon lui, l’objectif principal n’est pas uniquement la légalisation de l’avortement, mais avant tout la protection de la santé des femmes, « notre intérêt, ne serait pas uniquement la légalisation de l’avortement, mais d’abord la santé de la femme. Nous ne voulons pas que des grossesses non désirées aient lieu, et nous ne voulons pas qu’il y ait d’avortement clandestins non plus », conclut-t-il.