Avez-vous lu Fatema Mernissi ?

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En ce mois qui commémore les luttes des femmes pour leurs droits, célébrons celle qui a ouvert nos horizons. Fatema Mernissi (1940-2015) était sociologue. Elle a reçu en 2003 le prix Prince des Asturies et en 2004 le prix Erasme pour l’ensemble de son œuvre, consacrée aux logiques d’émancipation, notamment des femmes. Hommage en trois livres majeurs.

Rêves de femmes : le ciel pour horizon

« Tu deviendras une dame moderne, instruite. Tu réaliseras le rêve des nationalistes. Tu apprendras les langues étrangères, tu auras un passeport, tu liras des milliers de livres et tu t’exprimeras comme une autorité religieuse. » Tel est le rêve de Yasmina pour sa petite fille qui, née dans un harem à Fès, pratique lmsaria bel-glas, la promenade assise et contemple le ciel infini qui surplombe la cour carrée. Dans sa première fiction, inspirée de sa propre enfance et d’abord écrite en anglais (Dreams of Trespass – Tales of a Harem Girlhood, 1994), la sociologue retrace ces années bouillonnantes du mouvement pour l’indépendance, où le désir de modernité fait craqueler la loi patriarcale – non sans résistances.

Trente ans après sa première parution, ce livre – traduit en 25 langues et vendu à des dizaines de milliers d’exemplaires – n’a pas pris une ride : il respire la fraîcheur, l’espoir et la liberté. Et s’il témoigne d’un univers pesant et fermé, il est surtout une célébration des conquêtes quotidiennes en vue de l’émancipation : celle de sa mère brodant des motifs modernes et affirmant son besoin d’avoir un espace à elle, non régi par les règles collectives ; celle des mères obtenant que leurs filles aillent à l’école ; celles des stratégies pour obtenir ses droits ; celle de l’ailleurs apporté alors par la radio… Un formidable éloge du mouvement.

Sultanes oubliées, femmes chefs d’État en islam : relire l’histoire

Benazir Bhutto, la première femme chef d’État d’un pays musulman, vraiment ? Au tollé suscité par son élection, Fatema Mernissi répond, malicieusement mais fermement, par une enquête « futile » sur les femmes qui ont dirigé des États musulmans entre 662 et 1410 : « On a recours au détective privé lorsqu’on sait que la cause est indéfendable auprès de autorités publiques. Ce qui est apparemment le cas de ces reines », ironise-t-elle. Dans ce bijou d’érudition, paru en 1990, elle revient sur les parcours de ces figures fortes, dont peu « se sont paisiblement éteintes dans leurs lits » : la reine de Saba, Aïcha, Sayyida Al-Hurra, la Fatimide Sitt al-Mulk, les reines omeyyades, abbassides, andalouses, mameloukes, mogholes… Fatema Mernissi revient sur « l’assassinat historique » de ces femmes de pouvoir par une historiographie qui ne les tolère pas. Et s’arroge le droit de les ramener à notre mémoire collective.

Le harem politique – Le Prophète et les femmes : lever le voile

« Levons les voiles ! ceux du vaisseau-souvenir, mais d’abord ceux de nos contemporains qui maquillent le passé pour nous voiler notre présent », invite Fatema Mernissi en introduction à cet ouvrage qui revient sur la figure et l’époque du Prophète pour souligner les remises en question des hiérarchies, et la place des femmes dans ces contestations et négociations. Plutôt qu’un livre d’histoire, Le harem politique se veut un remède au « mal du présent » qui prône un « retour à la tradition », une tradition tronquée par des siècles de lectures misogynes qui ont oblitéré des figures fortes, comme celles de Hind, de Sukaïna, de Aïcha, d’Umm Salma… pour y substituer celle des jariyas. Encenser ainsi ces figures d’esclaves comme « la femme de “l’âge d’or” » de l’islam, c’est être prisonnier d’une mémoire sinistre. À laquelle Fatema Mernissi propose de substituer une « mémoire-liberté », à la hauteur de cette belle histoire.

Et vous, vous lisez quoi ?

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