Enfant au pied du volcan

Le temps des madras francoise ega

La maison d’édition Lux réédite l’œuvre, désormais classique, de l’écrivaine martiniquaise Françoise Ega, dont son autobiographie. Un bijou de lucidité et de fraîcheur.

La maison d’édition québécoise Lux réédite l’œuvre, désormais classique, de l’écrivaine martiniquaise Françoise Ega, dont son autobiographie. Un bijou de lucidité et de fraîcheur.

L’enfance ? « Un temps plus ou moins ensoleillé ou peuplé de merveilleux ». Un temps « entre la bienheureuse inconscience des premiers âges et le moment où chacun raisonne ». « Un temps où le jeune être se tourne vers la vie comme une plante avide de printemps. » Avant, le néant. Après, les choix personnels. Et pendant… C’est ce temps particulier que retrace Françoise Ega. Née en 1920 à la Martinique, elle fut ouvrière, militante pour l’égalité et le respect des personnes originaires de la Caraïbe en France, « l’autre pays ». Ses œuvres, dont Lettres à une noire (1978, qui viennent aussi d’être rééditées par Lux), sont traversées par l’observation des relations de domination, en lien avec l’esclavage, le classisme et le genre. Ici, elle en témoigne depuis son regard d’enfant. L’enfance ? Tout sauf le temps de l’innocence.

Le temps des découvertes

Françoise Ega

Françoise Ega raconte avec fraîcheur l’apparition, presque magique, de ses petits frères et sœurs. Elle raconte le bonheur des fruits, pomme cannelle, pomme d’eau, pomme France (fade), pomme liane, pomme noix, pomme rose et autres quénettes… Elle décrit les jeux avec les petits crabes sur la plage, ou le bonheur des cannes à sucre. Mais l’enfance, c’est aussi la la maladie qui emporte très jeune le père, c’est la mère qui a peur, qui doit nourrir six enfants et dont la boîte à sous tarde à se remplir. C’est l’inquiétant quimboiseur, Monsieur Parfait, qui jette des sortilèges terrifiants. Ce sont les cyclones qui emportent tout sur le passage, les planches de la modeste maison, la cressonnière, tout ce qui aidait à survivre. Alors il faut reconstruire, tout recommencer. Et quand c’est la montagne Pelée qui gronde, c’est le Morne-Rouge qu’il faut abandonner pour une misérable chambre en ville.

Françoise Ega campe une fratrie en liberté dans la merveilleuse et généreuse nature, encadrée par le père Wecter, le vieux prêtre alsacien, la courageuse tante Acé, et Elisa, la voyante et guérisseuse, qui ne sait pas lire mais lit l’invisible et chasse les zombies. Ce récit d’enfance, c’est la lutte quotidienne pour améliorer le quotidien, faire vivre la famille, faire étudier les enfants. Le certificat d’études est l’aboutissement d’une scolarité, surtout pour des orphelins.

L’enfance, c’est la découverte d’une nature dangereuse, c’est la transmission de la mémoire de l’esclavage et de ses ravages au niveau de la division sexuelle et raciale du travail. La discussion entre Délie, la mère, et tante Acé, sur le bilan de l’esclavage est un bijou d’ironie. C’est l’imposition du français contre le créole, discrédité en « patois » – la condition pour devenir une « demoiselle ». Et c’est la découverte, à l’église, que le petit Jésus est blanc…

À lire aussi Lettres à une noire, le « journal de résistance quotidienne » où Françoise Ega raconte l’exploitation qu’elle a vécue dans la France des années 1960 en tant que femme de ménage dans une famille bourgeoise blanche.

Et vous, vous lisez quoi ?

Kenza Sefrioui

Le temps des madras
Françoise Ega
Lux, 224 p., 230 DH

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