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 Migrants disparus en Méditerranée : La voix des mères

Ayant rêvé d’un avenir meilleur, ils se sont perdus en mer en empruntant des embarcations fragiles, tentant de rejoindre l’Eldorado européen. Ainsi, les mères et les proches poursuivent un combat contre vents et marées, cherchant vérité et justice pour leurs enfants, des années après leur disparition. Récits de Jalila et Fatima, deux mères vent débout.

Du Maroc à la Tunisie, de nombreuses familles ont perdu un proche sur le chemin de l’exil. Deux mères qui partagent la même souffrance, militent et transforment leur deuil en action pour obtenir justice et vérité.

Jamais sans mes enfants

Jalila Taamallah est tunisienne. Ses deux fils sont morts en tentant la traversée de la Méditerranée le 30 novembre 2019. Âgés de 22 et 24 ans, Mahdi et Heidi n’avaient pas averti leurs parents de la périlleuse traversée comme ne l’ont d’ailleurs pas fait leurs prédécesseurs.  

Un jour, après des semaines sans nouvelles de ses deux garçons, une amie lui envoie le lien d’un article de presse italien relatant un naufrage en mer. Sur les photos accompagnant l’article, elle reconnaît les tatouages de ses fils.

« Lorsque j’ai perdu contact avec mes enfants, j’ai compris la souffrance et la douleur des mères de disparus »

Jalila

« Lorsque j’ai perdu contact avec mes enfants, j’ai compris la souffrance et la douleur des mères de disparus. C’est une immense douleur que subissent les familles qui ne sont pas protégées dans leur propre pays, sans recevoir aucun soutien », affirme Jalila.

Et d’ajouter : « J’ai vu des mères lutter depuis 2011 jusqu’à aujourd’hui. Elles continuent leur combat. À chaque nouvelle famille touchée, ce sont ces mères expérimentées qui les accueillent, les soutiennent et les guident dans leur militantisme. Leur seul souci c’est ou sont leur enfants ».

La première démarche des proches des disparus, est souvent de se tourner vers le ministère des Affaires étrangères. Cependant, ce dernier refuse de leur apporter de l’aide ou de leur offrir une opportunité pour discuter de leurs problèmes, compliquant ainsi davantage leur combat.

« La première démarche des proches des disparus est souvent de se tourner vers le ministère des Affaires étrangères. Cependant, ce dernier refuse de leur apporter de l’aide ou de leur offrir une opportunité pour discuter de leurs problèmes, compliquant ainsi davantage leur combat », explique Jalila.

Le gouvernement tunisien refuse d’aider les mères à retrouver leurs fils.

La mère de famille a mis deux ans pour récupérer les corps de ses enfants et les enterrer près de chez elle. Jalila affirme n’avoir reçu aucune aide de l’État tunisien. Chaque jour, elle frappait à la porte du ministère des Affaires étrangères, de la Migration et des Tunisiens à l’étranger, sans jamais obtenir de réponse. « J’ai agi toute seule. Un député tunisien m’a aidée à obtenir un visa, et la Croix-Rouge a réalisé les tests ADN. Le gouvernement tunisien refuse d’aider les mères à retrouver leurs fils », déplore-t-elle.

Aujourd’hui, ce processus se transforme en business entre les deux pays.

« Nous nous tournons vers les organisations et associations italiennes pour nous aider à identifier les migrants disparus, notamment en cas de découverte de dépouilles et pour effectuer des tests ADN. Ces organisations permettent également aux familles d’avoir accès à des avocats en Italie. Nous constatons toujours que ce sont les étrangers qui nous aident, tandis que l’État tunisien refuse de nous apporter son soutien », souligne-t-elle. Et de poursuivre son récit : « Aujourd’hui c’est devenu un business entre les deux pays ».

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Jalila fait partie d’une association des mères de migrants disparus. Avec d’autres mères et proches des migrants disparus en mer, elle lutte pour obtenir ” justice la vérité”.  Lorsque Jalila a appris la mort de ses deux fils et a souhaité rapatrier leurs corps, on lui a demandé 7 500 euros par dépouille. « Le jour où elle a effectué les tests ADN et finalisé les démarches, le ministère des Affaires étrangères lui a envoyé un courriel lui confirmant qu’elle devait payer 4 800 euros pour le transport aérien. Elle a réglé cette somme en plus de toutes ses autres dépenses en Italie ».

« Il y a des milliers de disparus et personne ne s’occupe des familles ; J’essaie de les aider à travers mon propre parcours pour qu’elles ne subissent que ce que j’ai enduré »

Jalila

« Il y a des milliers de disparus et personne ne s’occupe des familles ; j’essaie de les aider à travers mon propre parcours pour qu’elles ne subissent que ce que j’ai enduré », affirme-t-elle.

« On ne demande pas l’impossible »

Fatima, une mère de Casablanca, recherche son fils Oussama, disparu avec 33 autres personnes du même quartier le 16 décembre 2021, depuis la Tunisie. Fatima affirme que son fils et ses collègues ne sont pas détenus en Tunisie et qu’elle est convaincue qu’ils ont pris la mer pour rejoindre l’Europe. Depuis, elle est sans nouvelles d’eux, jusqu’au jour où deux dépouilles ont été retrouvées.

« Je le répète toujours, pourquoi n’avons-nous pas été informés ni rapatriés pour effectuer les tests ADN sur ces deux dépouilles retrouvées, alors qu’elles étaient munies de cartes d’identité ? Nous n’avons été informés que trois mois après la découverte, alors que les autorités tunisiennes cherchaient à contacter les familles », souligne Fatima.

« Nous sommes 33 mères éprouvées, et tout ce que nous demandons, c’est la vérité et la justice »

Fatima

Et d’ajouter : « Nous en appelons à toutes les ONG pour nous aider à découvrir le sort de nos enfants. Nous sommes 33 mères éprouvées, et tout ce que nous demandons, c’est la vérité et la justice. Où sont nos enfants ? Si malheureusement ils sont décédés, qu’ils nous aident à effectuer les tests ADN. Et s’ils sont encore en vie, qu’ils nous aident à les retrouver ».

Cette mère a mené une lutte acharnée, frappant à toutes les portes pour retrouver une trace de son fils. Elle est même allée jusqu’en Tunisie pour effectuer des tests ADN sur les deux dépouilles retrouvées, mais les résultats ont été négatifs. Malgré cela, elle poursuit inlassablement sa quête pour découvrir le sort de son enfant.

« En Tunisie, j’ai reçu l’aide de tous, mais maintenant je demande l’aide de mon pays pour nous aider à retrouver nos enfants, ces 33 personnes. Nous voulons la vérité, car nous ne sommes plus les mêmes depuis leur disparition. Il y a un père qui a perdu la vue à force de pleurer son enfant, des mères sont décédées sans connaître le sort de leur fils. Nous ne demandons pas l’impossible, nous voulons simplement la vérité pour apaiser cette douleur qui brûle dans nos cœurs”, conclut Fatima avec une voix tremblante, et des larmes aux yeux. ».

Fatima et Jalila incarnent la voix de nombreuses mères et proches des disparus en mer au Maroc, Tunisie et Algérie, se battant seules pour la justice et la vérité, face au silence des États maghrébins et à leur refus d’aider ces familles.

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