Dans la tête des cultivateurs de l’avocat
Surnommé « l’or vert » par les agriculteurs, la culture de l’avocat est prisé pour ce rendement financier. Cette culture nécessite une quantité d’eau considérable, un défi majeur dans un pays qui fait face à une crise hydrique structurelle. ENASS.ma est parti à la rencontre d’agriculteurs de différentes tailles qui cultivent ce fruit exotique. Enquête-Reportage.
Texte Imane Bellamine ,Vidéo Anass Laghnadi
Nous sommes le Jeudi 25 avril, nous nous rendons au Salon International de l’Agriculture de Meknès (SIAM) pour voir si l’avocatier, cet arbre au cœur des débats sur la surconsommation d’eau, y est représenté. Ce forum international était notre première approche pour observer la place qu’occupe l’avocat en tant que culture émergente au Maroc. Cependant, la présence de ce produit agricole reste discrète. L’équipe d’ENASS s’est rendue sur place pour rencontrer les principaux acteurs et comprendre les enjeux de cette expansion. Nous étions guidés par plusieurs questions : Comment l’avocatier s’est-il imposé dans certaines régions marocaines, malgré ce contexte de pénurie d’eau ? Quels compromis les agriculteurs sont-ils prêts à faire pour poursuivre cette culture ?
L’or vert : Un fruit aux multiples enjeux
« Je ne veux pas entrer dans le débat politique ni dans la polémique sur la consommation de l’eau ».
Dans cette foire aux milliers d’exposants, nous trouvons sur un stand exposant quelques jeunes plants d’avocatiers. Curieux d’en savoir plus sur cet arbre particulier, nous nous approchons du responsable de cette entreprise. Celui-ci, et après quelques hésitations, accepte de nous parler, mais se limite à des généralités sur les variétés représentées au stand, sans donner de détails concrets. Quand nous abordons la question cruciale de la particularité de ce fruit et de sa consommation importante d’eau, l’attitude de cet investisseur dans l’avocat change. Visiblement agacé, il interrompt brusquement la conversation, refusant de discuter davantage de cette problématique pourtant cruciale dans le débat sur la culture de l’avocatier au Maroc. « Je préfère qu’on reste sur l’essentiel. Je ne veux pas entrer dans le débat politique ni dans la polémique sur la consommation de l’eau. On peut parler d’autres arbres, comme le pistachier que nous cultivons aussi, mais je ne souhaite pas m’engager dans cette discussion autour de l’avocat », botte-t-il en touche. La réaction de cet agriculteur révèle la sensibilité du sujet. L’avocatier, souvent accusé d’être une forme « d’export de l’eau » est au cœur d’un débat. Alors que le Maroc fait face à un déficit hydrique chronique, la culture de l’avocat nécessite de grandes quantités d’eau (entre 800 à 1000 litres/kg) pour prospérer. Cette consommation d’eau suscite de nombreuses critiques. Pour certains, promouvoir l’avocatier dans un pays en situation de stress hydrique est une action « irresponsable », alors que d’autres soulignent « les opportunités économiques » qu’il offre, notamment à l’export. Un dilemme entre rentabilité agricole et capitalistique et gestion durable des ressources en eau.
Pour certains, promouvoir l’avocatier dans un pays en situation de stress hydrique est une action « irresponsable ».
Dégâts environnementaux
Un dilemme entre rentabilité agricole et capitalistique et gestion durable des ressources en eau.
Ce fruit originaire des régions tropicales d’Amérique, l’avocatier a fait son apparition au Maroc à la fin des années 1980, principalement dans la région du Loukkos, avant de s’étendre au Gharb au début des années 2000. Aujourd’hui, l’avocat a conquis le marché mondial. Il classé comme 6ème fruit en termes de consommation dans le monde, avec des dégâts environnementaux irrémédiables au Mexique et dans d’autres pays producteurs en Amérique Latine et même en Espagne.
L’avocatier a fait son apparition au Maroc à la fin des années 1980.
Mexique, République dominicaine et Pérou sont les premiers exportateurs dans le monde de ce fruit. La culture de l’avocat est dynamique dans le monde, avec l’arrivée de nouveaux acteurs en raison de la forte demande européenne sur ce fruit et parmi les nouveaux entrants le Maroc.
Le Gharb et le Loukkous offrent de nouveaux terrains pour cette culture fragile. Les plantations d’avocats couvrent actuellement 1290 hectares (ha) dans le Gharb, Rabat-Salé, Khémisset, Benslimane et Souss-Massa. En empruntant la route nationale de Rabat vers cette région, nous apercevons dès les premiers kilomètres près de Tiflet de vastes étendues d’avocatiers et des fermes équipées de méga-bassines préparées pour désaltérer les terres d’avocat.
« L’avocat est rentable »
Nous nous sommes rendus dans l’une de ces fermes situées à quelques kilomètres de Kénitra, appartenant à Mohamed Darkaoui, ingénieur agronome et cultivateur d’avocatiers. Sa ferme s’étend sur plusieurs hectares. « À l’origine, je voulais planter des agrumes, mais ils étaient très sensibles aux maladies. Elles n’ont pas réussi sur ces terres. J’ai donc opté pour l’avocatier », explique-t-il. Cette ferme agricole est loin du cliché de l’acteur de l’agro-business. Il s’agit d’être petite ferme familiale. Son propriétaire est un expert dans son domaine.
Darkaoui, au ton docte nous explique les spécificités du sol dans cette région : « Les sols sablonneux de la région de Maâmoura sont pauvres. Pour obtenir de bons résultats, il faut choisir une culture adaptée, et l’avocatier s’y prête bien. ». Selon cet expert agricole, « bien que le prix de l’avocat n’ait pas été attractif au début, la demande croissante, notamment à l’export, a rendu cette culture rentable, surtout sur des sols qui ne conviendraient pas à d’autres cultures ».
Un agriculteur : « L’irrigation goutte-à-goutte permet économie d’eau dans cette région »
Selon lui l’avocatier, hermaphrodite, nécessite des pollinisateurs pour survivre, et sa récolte s’étend d’octobre à mars. « L’irrigation goutte-à-goutte permet économie d’eau dans cette région », rassure-t-il.
« L’eau de pluie irrigue naturellement ces terres. Nous utilisons le goutte-à-goutte en cas d’absence de pluviométrie. Un hectare d’avocatiers consomme entre 4 000 et 5 000 mètres cubes d’eau par an, soit environ 5 millions de litres », précise Darkaoui.
Comme beaucoup de promoteurs, Darkaoui réfute l’idée que l’avocat soit un fruit excessivement consommateur en eau. Cet ingénieur agronome défend une vision techniciste et pragmatique pour l’agriculture marocaine : « Le Maroc doit diversifier ses cultures et ne pas se limiter aux cultures vivrières surtout dans le contexte des crises mondiales actuelles. La culture Bour n’apporte pas de rendement ». Selon lui, « les revenus générés par l’exportation de l’avocat permettraient au pays d’acheter davantage de céréales et bien d’autres produits qu’il ne pourrait produire localement, à cause de la sécheresse ». Un avis que partage promoteurs d’agriculture intensive qui a permis la promotion du Plan Maroc Vert. La souveraineté alimentaire bradée sous l’autel de la logique du commerce international agricole. Cette vision a aussi ses idylles dans le secteur de l’avocat.
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« Garantir la sécurité alimentaire de l’Europe » !
En juin 2021, La Morocco Avocado Association (MAVA) est née. C’est un regroupement d’agriculteurs d’avocat au Maroc. Au moment de sa création, MAVA voulait « servir en tant que catalyseur des différentes démarches déjà existantes en matière d’exportation de l’avocat marocain », peut-on lire dans le communiqué de création de cette association. Dans ce même document, MAVA dit vouloir « assurer et garantir la sécurité alimentaire des consommateurs européens » Etonnant objectif ! ENASS a pris contact avec MAVA pour en savoir plus sur le patronat de l’avocatier au Maroc.
C’est ainsi que notre enquête se poursuit jusqu’à la Larache, capitale de l’avocat marocain, plus précisément à Laouamra. C’est une commune rurale marocaine de la province de Larache, dans la région de Tanger-Tétouan. Elle a une population totale de 35161 habitants vivant principalement des activités agricoles. Sur ce territoire, des fermes à perte de vue et sur plusieurs hectares d’avocatiers. Le terrain est sabloneux, proche de l’océan et le climat est parfaitement adapté et surtout demeure abandonnant dans un de ses réservoirs du Maroc.
Il est 14 heures en ce mois de juillet, le soleil brille. Abdelah Elyamahi, le président de MAVA, jeune agriculteur et originaire de la région, nous accueille dans les locaux de sa ferme. Lunettes de soleil, chemise blanche col « Mao », le jeune a le profil de l’investisseur. Nous rencontrons, un jeune agriculteur de la région qui cultive et exporte ce fruit depuis plusieurs années.
« Nous sommes dans une ferme de cinq hectares, juste devant la station de conditionnement. Elle a commencé à produire des fruits il y a deux ans, et cette année sera notre cinquième saison. Nous sommes optimistes quant à la production de cette année », nous explique Elyamahi avec enthousiasme.
Il souligne que le choix du terrain est l’un des principaux facteurs déterminant le succès de la récolte. « L’avocat est un fruit sensible ; il ne peut être cultivé partout. C’est pourquoi la majorité des plantations se trouvent dans la région de Larache-Kénitra, où le sol est sablonneux et bénéficie d’une bonne irrigation, ainsi que de la proximité de la mer pour apporter de la fraîcheur », explique-t-il. Elyamahi ajoute : « Si nous faisons un bon choix de plantes, nous avons 90 % de chances de réussir cette culture ».
Hausse de la production et de l’export
Elyamahi de MAVA : « Il est essentiel de prendre en compte que d’autres cultures consomment encore plus d’eau ».
Le Maroc fait face à une vague de sécheresse qui dure depuis plus de six ans, et pourtant, la culture de l’avocat continue de s’épanouir sur les dernières terres fertiles du pays (Gharb et Loukous). Elyamahi reconnaît que ce fruit est effectivement gourmand en eau, mais il insiste « sur la nécessité de contextualiser la situation ». Selon lui, « il est essentiel de prendre en compte que d’autres cultures consomment encore plus d’eau ». Pour lui, « il est inacceptable de se concentrer uniquement sur l’avocat sans examiner l’ensemble du paysage agricole marocain ».
La superficie consacrée à l’avocatier a doublé en près de quatre ans, atteignant en 2023 environ 7 500 hectares productifs au Maroc, grâce au lancement des exportations de ce fruit en 2018. La production a ainsi connu une hausse significative, passant de 43 000 tonnes en 2022 à 70 000 tonnes en 2023. Les promoteurs estiment qu’elle pourrait atteindre 80 000 tonnes d’ici 2025, un chiffre qu’ils considèrent comme « un record ».
« Nous avons atteint une production de 70 000 tonnes », se réjouit Elyamahi. Il précise que le rendement s’améliore constamment, grâce à de meilleures techniques de production. Plus une ferme vieillit, plus elle produit de fruits », souligne –t-il.
Exprimant ainsi sa joie et sa satisfaction face aux résultats de sa ferme, Elyamahi met dans la balance « la consommation de l’eau et la création de plus d’emplois ». Il dit « avoir observé les changements significatifs dans le mode de vie des petits agriculteurs qui, par le passé, souffraient des effets de la sécheresse ».
« Nous sommes passés d’agriculteurs pauvres à une situation de rentabilité stable. Cela a dynamisé l’économie locale et créé des emplois », estime-t-il.
Les agriculteurs et les promoteurs persistent à défendre la culture de l’avocat, tandis que les experts lancent un avertissement en la qualifiant « de l’exportation de l’eau ». Dans ce contexte de manque d’eau structurel, le Maroc peut-il vraiment se permettre le luxe de cette culture pour « assurer la sécuritaire alimentaire de l’Europe » ? Les devises et quelques milliers emplois agricoles créés par la filière de l’avocatier pourront-elles acheter de l’eau, qui se fait rare au Maroc ?
À suivre…