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Export de l’avocat au Maroc : Quel coût écologique ? 

Les exportations de l’avocat produit au Maroc ont bondi de 700% huit ans ! Au fil de notre enquête les promoteurs agricoles défendent cette expansion, tandis que les experts multiplient les mises en garde face aux risques écologiques à moyen terme. 

Texte Imane Bellamine, Video Anass Laghnadi  

C’est l’histoire d’un pays à sec depuis quatre années successives qui choisit de faire exploser les compteurs de sa production d’avocats. De 25 000 tonnes en 2018, la production de ce fruit exotique frôle les 80 000 tonnes !  Ce pays s’appelle, le Maroc. 

Cette culture extrêmement gourmande en eau a trouvé son terrain de « jeu » autour du Loukkos, dans la région du Gharb et à Moulay Bousselham. Le Maroc fait face à une sécheresse persistante qui exacerbe la pénurie d’eau dans le pays. Pourtant, l’avocat carbure à plein régime. De 7500 tonnes en 2016, l’export a bondi à 60 000 tonnes en 2024. Soit une progression vertigineuse de 700% ! L’avocat continue de s’étendre dans les dernières zones fertiles, menaçant ainsi la biodiversité, l’environnement et les communautés locales. 

Au cours de cette enquête, les avis divergent : agriculteurs et investisseurs agricoles défendent farouchement leurs activités, parfois au détriment de la durabilité, tandis que des experts livrent une analyse scientifique, qui permet de mettre en lumière les dégâts potentiels que cette culture pourrait engendrer dans les années à venir.

Pastèque à Zagora, Avocat au Gharb

« L’agriculture marocaine était autrefois principalement pluviale, avec très peu d’irrigation. Celle-ci a commencé sous le protectorat avec les grands barrages, et depuis les vingt dernières années, l’irrigation s’est développée grâce à des subventions de l’État, principalement à partir des nappes phréatiques, car les barrages ne suffisent plus. Aujourd’hui, certains barrages sont à sec et des zones ne sont plus irriguées », affirme Mohamed Taher Srairi, professeur de l’Enseignement Supérieur, à l’Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II – IAV. 

Selon, le Water Footprint Network, une organisation néerlandaise engagée pour une gestion raisonnée des ressources hydriques, indique qu’un kilogramme d’avocats nécessite environ quatre fois plus d’eau que la même quantité d’oranges ou de tomates. 

« Les avocatiers demandent un apport constant en eau tout au long de l’année, et l’irrigation est essentielle pour soutenir la croissance rapide de leur production et de leurs exportations », explique notre expert.

D’après les données du ministère de l’Agriculture, les besoins annuels moyens en eau s’établissent à 8 000 m³ par hectare pour les avocats, entre 3 800 et 4 300 m³ pour les pastèques (selon la période de production) et 12 000 m³ pour les fruits rouges.

Dans ce même contexte, au Maroc, la surexploitation des nappes phréatiques, notamment causée par les cultures intensives telles l’avocat, atteint des niveaux alarmants. Avec 85 % d’eau consommée par le secteur agricole, les ressources en eau du pays sont sous forte pression, et les nappes sont pompées à un rythme dépassant les 25 % des volumes durables recommandés. Ce n’est qu’après une vive polémique et les nombreuses alertes d’experts que le ministère de l’Agriculture a réagi : en septembre 2022, il a mis fin aux incitations pour les nouvelles plantations d’avocats et d’agrumes. 

« Il faut se baser sur le savoir scientifique : l’avocatier est une plante tropicale qui demande une quantité d’eau importante, entre 1 600 et 1 800 mm par an, soit environ 18 000 m³/ha, ce qui équivaut à 18 000 tonnes. Ces données sont théoriques, mais en période de vagues de chaleur, comme celles du chergui, les besoins augmentent. En cas de canicules successives en juillet et août, les besoins sur- explosent. Les agriculteurs contraint de sur-irriguer pour garantir la survie des arbres, consomment ainsi bien plus d’eau que nécessaire », précise-t-il.

Il poursuit : « Aujourd’hui, certains pensent que ce n’est pas grave car les surfaces sont réduites et que c’est de l’eau qui se jette dans la mer. Je ne suis pas d’accord, car nous avons déjà subi les conséquences de cette méthode dans d’autres régions du pays. »

Vers le modèle chilien ?

En forte expansion, la culture de l’avocat ne fait non seulement pas la pression sur les nappes phréatiques locales, mais s’inscrit également dans une dynamique mondiale qui montre des résultats alarmants dans des pays producteurs. En effet, des pays comme le Mexique, le Chili et le Pérou, classés parmi les premiers producteurs mondiaux d’avocats, ont déjà pleinement ressenti les effets destructeurs de cette culture.

Au Mexique, et notamment dans l’État du Michoacán, la culture intensive de l’avocat a été associée à une déforestation massive. Une étude menée par Climate Rights International révèle que plus de 16 000 hectares de forêts ont été déboisés pour faire place à des vergers d’avocatiers destinés à l’exportation. Cette déforestation a eu de graves conséquences écologiques, notamment la destruction d’habitats naturels, affectant des zones sensibles comme la réserve de biosphère du papillon monarque. Le déboisement a remplacé des forêts indigènes cruciales pour la régulation de l’eau et la biodiversité, augmentant ainsi la vulnérabilité des sols à l’érosion et aux inondations, notamment dans des régions comme Jalisco.

De plus, le stress hydrique est également devenu une préoccupation majeure. Dans des régions de production intensive comme Jalisco, la demande en eau des avocatiers a exacerbé la pression sur les ressources en eau locales, qui sont déjà limitées. En remplaçant les forêts indigènes par des cultures d’avocatiers, la recharge des aquifères a été bloquée, aggravant la situation dans des zones déjà frappées par la rareté de l’eau. 

Selon une autre étude de  World Resources Institute, au Chili, la situation est similaire, notamment dans la région de Petorca. L’utilisation excessive d’eau pour irriguer les avocatiers a provoqué l’assèchement de rivières et de cours d’eau locaux. « Cette intensification de la production pour l’exportation, a eu des conséquences dramatiques pour les communautés locales, qui se retrouvent privées d’accès à l’eau potable, alors que les ressources en eau sont détournées au profit des vergers commerciaux» Cette situation, observée dans ces pays producteurs comme le Chili et le Pérou, met en lumière les risques environnementaux que le Maroc pourrait être amené à affronter si l’expansion de la culture de l’avocat n’est pas régulée , posant la question cruciale : le Maroc peut-il se permettre ce luxe au détriment de la nature et des générations futures ?

Pour répondre à cette question, Srari rappelle deux éléments, le danger de la monoculture sur l’écosystème agricole et les risques pesant sur le marché de l’export de l’avocat dans le monde. « Le problème principal est celui la monoculture, c’est l’anti-thèse de la vie. C’est promouvoir la propagande, sans considération de l’origine de l’eau », prévient-il. 

Le deuxième élément est celui de la demande mondiale de l’avocat. Aujourd’hui visiblement florissante, ce marché présente plusieurs risques déjà à court terme. « Le marché de l’export est instable. Plusieurs associations de consommateurs en Europe sont en campagne contre l’importation de l’avocat en raison des dégâts environnementaux majeurs au Chili par exemple. Donc contrairement à l’idée reçu, les marchés se ferment graduellement et l’export n’est pas garanti », nuance Srari avec son rigueur de scientifique. 

Zagora, comme un cas d’école 

Lors d’une autre enquête menée par notre équipe dans la région de Zagora, les effets désastreux des cultures gourmandes en eau, comme la pastèque, sont apparus avec une inquiétante clarté. Ces plantations intensives ont non seulement détruit les oasis, mais également menacé la biodiversité locale, plongeant la vie des habitants dans le chaos. Depuis des années, les habitants de Zagora tentent de se faire entendre : manifestations et sit-in se sont multipliés, avec un seul slogan « La pastèque est l’ennemi de l’oasis ! ».

Les dégâts dépassent majoritairement les effets directs de la sécheresse. Les systèmes d’irrigation fragilisent de plus en plus les sols, et des puits de plus de 200 mètres de profondeur ne suffisent plus à alimenter les oasis. Les villages se vident, la jeunesse fuit la région, laissant derrière elle des femmes oasiennes dans la précarité et l’oubli. Face à ces conséquences alarmantes, les experts que nous avons interrogés mettent en garde : si la culture de l’avocat continue de s’étendre sans régulation, elle pourrait générer des impacts similaires, surajoutant aux défis écologiques et sociaux. 

« Il y a ceux qui disent que ces cultures sont souvent implantées dans des zones où l’eau s’écoule vers la mer, et l’idée est de valoriser cette eau. Cependant, il existe des limites naturelles. Quand on les dépasse, on rencontre des difficultés pour les riverains : les puits se vident, la qualité de l’eau se dégrade, et personne ne soulève le problème de la pollution causée par les pesticides et les engrais chimiques. La régulation est essentielle, on ne peut pas laisser le marché tout gérer et tout seul », conclut-il.

Si la production d’avocats a doublé, passant de 43 000 tonnes en 2022 à 70 000 tonnes en 2023, avec des prévisions de 80 000 tonnes d’ici 2025, des questions persistent aujourd’hui : qui profite réellement de cette croissance, et à quel prix pour l’environnement et les ressources en eau du Maroc ?


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