À Meknès : Des ouvrières en lutte pour leurs droits
Depuis neuf mois, les ouvrières de l’usine de textile Sicomek (ex-Sicom) à Meknès mènent une lutte historique pour obtenir leurs droits. Ni le mauvais temps, ni la répression, ni l’oubli ne dissuadent ces femmes battantes dans leur combat. ENASS leur a rendus visite lors de la Journée internationale des droits des femmes. Reportage.

Nous sommes le 8 mars, à Meknès, la capitale ismaélienne, une pluie battante sur la ville ce matin-là. Devant l’hôtel Rif, les ouvrières occupent l’entrée de cette unité hôtelière, appartenant à l’ex-propriétaire de Sicomek. Un abri de fortune a été installé par les ouvrières de l’usine, qui, depuis neuf mois, ont laissé derrière elles leurs foyers pour protester et camper devant cet hôtel. Les Jours se suivent ainsi que les nuits. Les ouvrières imperturbables restent là, déterminées à revendiquer justice et droits. En 2018, la fermeture brutale de Sicomek (ex-Sicom) les a laissées sans emploi, licenciées abusivement par leur patron étranger. Pendant neuf mois, elles ont tenu tête à l’injustice, occupant le parvis de l’usine abandonnée pour réclamer leurs droits. En ce 8 mars, elles ont reçu un soutien national de la part d’organisations et mouvements sociaux.
Lutte courageuse et Ftour partagé
Ce samedi 8 mars, des acteurs de la société civile, dont l’Association marocaine des droits humains (AMDH), ATTAC Maroc, La section féminine de la Fédération nationale de l’éducation (FNE), ainsi que des étudiants de Meknès, de Fès et de Taza ont décidé de consacrer cette journée à l’expression de leur solidarité. Un sit-in a été organisé, suivi d’un ftour partagé avec ces femmes courageuses, en soutien à leur lutte sans fin.


À l’entrée de l’hôtel Rif, des pancartes sont collées sur le portail, chacune portant un slogan : « Le patronat utilise l’article 19 du code du travail pour licencier les ouvrières », « Cette grève des ouvrières devant cet hôtel est une protestation contre son propriétaire, qui est aussi celui de l’usine ayant détruit la vie de plus de 500 ouvrières et ouvriers », et enfin, « Nous sommes 500 ouvrières et ouvriers, et nous demandons aux autorités et aux parties prenantes de trouver une solution urgente à une situation dramatique. »
Lors de ce sit-in avec les ouvrières en grève devant l’usine Sicom à Meknès, nous avons rencontré Amina, une ouvrière qui a travaillé pendant plus de trente ans dans cette usine. Elle nous a livré son témoignage détaillé, expliquant les difficultés auxquelles elle et ses collègues ont été confrontées au fil des années, et comment leur lutte pour leurs droits est devenue une bataille de longue haleine.
Récit d’une lutte ouvrière
Depuis neuf mois, les ouvrières ont laissé derrière elles leurs foyers pour protester et camper devant cet hôtel.
Amina nous raconte qu’elle a travaillé à l’usine Sicom pendant plus de trente ans, et que la majorité des ouvrières et ouvriers ont des antécédents d’au moins 35 ans de service et ont commencé le travail depuis qu’ils étaient mineurs. « Nous avons travaillé ici depuis les années 1970, et la majorité d’entre nous a travaillé entre vingt et trente ans », explique-t-elle. Mais ce qui semblait être une relation de travail stable et de longue durée a pris un tournant dramatique lorsque les ouvrières ont découvert qu’elles n’avaient plus droit à la couverture santé ni à la sécurité sociale. « Nous avons commencé à nous rendre compte qu’il y avait un problème lorsque l’une des ouvrières, souffrant de problèmes de santé, a voulu profiter de ses droits à la couverture santé. C’est à ce moment-là qu’elle découvre qu’elle était privée de ses droits », nous explique Amina.
« Nous avons travaillé ici depuis les années 1970, et la majorité d’entre nous a travaillé entre vingt et trente ans »
Amina
L’histoire a pris une tournure encore plus choquante en 2017, lorsque l’usine a été vendue à une autre société. Cette vente a été accompagnée de manœuvres douteuses, et les ouvrières ont rapidement réalisé qu’elles étaient « privées de leurs droits, y compris la couverture médicale et les salaires ». « En 2017, lorsque l’usine a été vendue, nous avons dû faire face à des mois d’impayés et à une situation où nous n’avions plus aucune garantie pour nos droits », nous dit Amina. Les ouvrières ont alors décidé de se battre. « Nous avons passé une année entière dans la rue, à dormir à même le sol, pour revendiquer nos droits. Nous avons été mises à la rue, privées de nos salaires et de la couverture santé pendant plus de deux mois. »
« En 2017, lorsque l’usine a été vendue, nous avons dû faire face à des mois d’impayés et à une situation où nous n’avions plus aucune garantie pour nos droits »
Amina
Après le rachat de l’entreprise en 2016, un investisseur marocain s’associe à un partenaire étranger spécialisé dans la confection pour tenter de redresser la société. Mais rapidement, la tâche se révèle plus complexe que prévu. L’investisseur local abandonne, suivi de son associé étranger, qui ferme définitivement l’entreprise en 2018. Ils laissent derrière eux un véritable chaos social.
L’entreprise a bénéficié d’un soutien financier public de 4 millions de dirhams, partagé entre la municipalité de Meknès et la région, cet investissement n’aurait pas suffit à sauver la société, accablée par les dettes.
Bien que l’entreprise ait bénéficié d’un soutien financier public de 4 millions de dirhams, partagé entre la municipalité de Meknès et la région, cet investissement ne suffit pas à sauver la société, accablée par les dettes, comprenant des arriérés auprès de la CNSS, de l’ONEE, des impôts et des créanciers bancaires. La gestion défaillante de l’entreprise entraîne sa lente agonie. En conséquence, plus de 500 ouvrières se retrouvent sans emploi, privées de toute indemnité et de leurs droits sociaux.
« Nous avons été trahies par le syndicat, en qui nous avions mis toute notre confiance »
Amina se souvient avec amertume de la trahison et l’injustice ressentie, non seulement de la part des responsables de l’usine, mais aussi du syndicat auquel elles appartenaient depuis des décennies. « Nous avons été trahies par le syndicat, en qui nous avions mis toute notre confiance », affirme-t-elle. Selon elle, le syndicat leur a fait de fausses promesses et n’a pas agit d’une manière efficace pour résoudre leurs problèmes. « Le syndicat nous a dit que tout allait être réglé, que nos droits seraient préservés, et qu’il n’y aurait pas de problèmes, puisque nous avions droit à une protection. Mais au final, ils nous ont laissé dans l’ombre », déclare Amina avec frustration.
Le syndicat leur avait conseillé de faire confiance à la « protection » de l’article 19, leur assurant que tout serait réglé. Mais cette promesse n’a été suivie d’aucune action.
Le syndicat leur avait conseillé de faire confiance à la « protection » de l’article 19, leur assurant que tout serait réglé. Mais cette promesse n’a pas été suivie d’action, et les ouvrières ont continué à lutter seules, dans un silence radio de toutes les parties.
« Neuf mois dans la rue »
« Depuis neuf mois, nous campons jour et nuit devant l’hôtel du propriétaire.
Le sit-in accompagné du campement nocturne ouvert devant cet hôtel appartenant au propriétaire de l’usine a commencé depuis neuf mois, pendant lesquels les ouvrières et ouvriers se sont retrouvés dehors, loin de leurs maisons. « Nous croyons fermement en la légitimité de notre lutte pour récupérer ce qui nous a été volé. Cette injustice a déstabilisé des familles entières, forçant certains enfants à quitter l’école, car leurs parents n’étaient plus en mesure de leur offrir les conditions nécessaires pour étudier. Des foyers ont été brisés. C’est un véritable crime contre la classe ouvrière marocaine. », Elle poursuit : « Depuis neuf mois, nous campons jour et nuit devant l’hôtel du propriétaire. Chaque jour, nous avons des tâches précises, et notre lutte continue d’être organisée de manière démocratique. Nous discutons, prenons des décisions collectives, et mettons nos conclusions en action. Aucune décision ne se prend en dehors cercle, il n’existe aucun secret entre nous. »
À l’intérieur, quelques couvertures, des habits, quelques verres et assiettes, l’humidité s’installe déjà, il n’y a ni lumière, ni chaleur. Malgré la pluie, elles sont là, ensemble, déterminées à lutter pour leur cause.
Devant cet hôtel, ces ouvrières ont construit de petites cabanes de fortune avec du plastique, et des drapeaux du Maroc qui sont collés sur chaque cabane improvisée, des pancartes avec des slogans, des cartons posés sur le sol. À l’intérieur, quelques couvertures, des habits, quelques verres et assiettes, l’humidité s’installe déjà, il n’y a ni lumière, ni chaleur. Malgré la pluie, les ouvrières sont présentes, unies par la cause, et déterminées à mener leur combat. Lorsque l’on entre sous l’une de ces bâches en plastique, elles nous accueillent et demandent que leur propre drame soit entendu. Quatre à cinq femmes dans un seul espace, jour et nuit, même pendant les jours les plus rudes, affrontant le froid et les fortes pluies.

Une autre ouvrière, nous raconte que : « Depuis le début de cette lutte, notre santé physique et mentale se détériore lamentablement. »
« Nous avons tous souffert de dépression, et beaucoup d’entre nous sont morts avant même de pouvoir obtenir ce qui leur revenait, d’autres sont gravement malades, selon une ouvrière.
Et de poursuivre : « Nous avons tous souffert de dépression, et beaucoup d’entre nous sont morts avant même de pouvoir obtenir ce qui leur revenait de droit, d’autres sont gravement malades. Nous avons durement travaillé pendant des années, jour et nuits et même lors de la pandémie, pour aider le propriétaire à payer ses dettes, en espérant récupérer notre droit à la couverture santé qu’on nous avait volé pendant trois ans, ainsi que notre sécurité sociale et nos salaires impayés. Mais voilà ce qui nous attendait, tant de souffrance et autant d’injustice ».
Dans un coin de rue, et parmi les autres installations improvisées, se dresse une petite cabane en plastique rudimentaire mais fonctionnelle. Juste là devant, une ouvrière âgée, assise sur une boîte, tient un petit étal de bananes fraîches disposées soigneusement sur une table de bois, comme une tentative de redonner un peu d’ordre à son environnement de fortune. Son visage, marqué par les années et les mois passés dehors, témoigne de la dureté de sa lutte. Elle continue de vendre, un petit commerce qui lui permet de subsister, mais qui ne comble pas la profondeur de sa souffrance. Sous son parapluie et son imperméable, elle nous parle de sa lutte pour la justice, des années de luttes, des mois dans la rue, privée de sa famille, trouvant dans cette résistance une forme de dignité.

« Notre seule force réside aujourd’hui en notre résistance, notre unité et notre combat contre ce trio qui écrase la classe ouvrière : le patronat, la bureaucratie syndicale et certains responsables politiques ».
« Notre seule force réside aujourd’hui dans notre résistance, notre unité et notre combat contre ce trio qui opprime la classe ouvrière : le patronat, la bureaucratie syndicale et certains responsables politiques », lance-t-elle.
Avant d’ajouter : «Nous n’allons pas nous soustraire à nos droits, soit on aura justice et nos droits, soit on reste là. Seule la mort peut nous arrêter de continuer cette lutte ».
Le sit-in continue, ponctué par les prises de parole de chaque membre des associations présentes, qui expriment leur soutien. Un ftour collectif est organisé, un moment de solidarité partagé avant la reprise de la lutte. Malgré une pluie battante, ouvrières, militantes et étudiantes unissent leurs voix pour dénoncer l’injustice que ces femmes ont enduré pendant des années. Leur combat pour la justice et les droits serait un chemin ardu, mais elles restent déterminées à se battre contre le patronat, convaincues que rien ne les arrêterait dans leur quête pour la dignité.