
Cette étude porte sur la politisation dudit « problème des mineurs non accompagnés marocains »1 en France, en la faisant débuter par une attention resserrée sur son traitement policier. Il s’agit ainsi de rétablir dans la lumière ce qui, justement, a été et continue d’être mis dans l’ombre par la surmédiatisation mentionnée. Cet article examine comment le premier refus a rendu ces enfants et adolescents marocains redevables d’un traitement prioritairement répressif. PARTIE 1.
Plusieurs milliers d’enfants et adolescents font l’objet d’une inflation discursive et d’une surmédiatisation sous le nom de « mineurs non accompagnés marocains », dans les pays européens.
Depuis une dizaine d’années au moins, plusieurs milliers d’enfants et adolescents font l’objet d’une inflation discursive et d’une surmédiatisation sous le nom de « mineurs non accompagnés marocains », dans les pays européens dans lesquels ils ont tenté de trouver refuge. Cette surexposition disproportionnée au regard de leur nombre2 peut sans doute s’expliquer par leur extrême et intrigante jeunesse dans la mesure où les plus jeunes d’entre eux pouvaient avoir seulement 8 ans. Elle est surtout l’indice d’une politisation de leur présence, opérée par les Etats concernés, recouvrant à la fois des dimensions nationales et européennes, à l’instar de l’Espagne, des Pays-Bas, du Danemark, de la Suède, de l’Allemagne, ou encore de la France. S’y ajoutent les enjeux relatifs aux relations que l’Union Européenne et les différents Etats entretiennent avec l’Etat marocain.3 Incontestablement, les rapports bilatéraux entre les deux voisins immédiats pèsent de manière plus régulière et spectaculaire dans le traitement politique4 des jeunes harragas aspirant à l’exil ainsi que de ceux qui, parmi eux, ont réussi le franchissement des frontières hautement sécurisées vers les deux enclaves coloniales que sont Sebta et Mlilya5. C’est le cas, également et autrement, avec le pays qui retient l’attention de la série de publications qu’inaugure ce premier article, à savoir la France.
Elle est surtout l’indice d’une politisation de leur présence, opérée par les Etats concernés.
De manière la plus immédiate, cette politisation repose sur des discours qui enserrent ces enfants et adolescents sous le nom d’apparence administrative de « mineurs non accompagnés marocains »6. Ils alternent précisément entre deux pôles qui peuvent apparaître comme s’excluant mais qui finissent par s’alimenter mutuellement : d’un côté, des représentations hostiles les érigeant en adolescents dangereux s’adonnant à des activités délinquantes, de l’autre, des représentations misérabilistes faisant d’eux des victimes d’eux-mêmes et de leur exil illégal semé de pièges pouvant leur être fatals. Ces discours hégémoniques participent pleinement à leur fragilisation où qu’ils soient, les rangeant probablement du côté de la frange la plus vulnérable et méprisée de la diaspora marocaine présente sur ce continent.
D’un côté, des représentations hostiles les érigeant en adolescents dangereux s’adonnant à des activités délinquantes.
Ces jeunes corps indésirables

De l’autre, des représentations misérabilistes faisant d’eux des victimes d’eux-mêmes et de leur exil illégal semé de pièges pouvant leur être fatals.
La série d’articles proposée porte précisément sur la politisation dudit « problème des mineurs non accompagnés marocains »7 en France, en la faisant débuter par une attention resserrée sur son traitement policier. Il s’agit ainsi de rétablir dans la lumière ce qui, justement, a été et continue d’être mis dans l’ombre par la surmédiatisation mentionnée. La violence policière a le plus souvent été ignorée ou envisagée de manière anecdotique, tandis que la violence a été systématiquement accolée à ces enfants et adolescents en tant qu’auteurs et/ou cibles de celle-ci. Surtout, la prééminence accordée au traitement policier s’impose dans la mesure où il constitue un ressort décisif pour saisir la politisation de leur présence opérée par l’Etat français en tant que corps jugés indésirables. Il prend donc sens, non pas de manière isolée, mais au regard de l’objectif principal – voire exclusif – de la politique élaborée à leur endroit : faire disparaître la présence de ce groupe du territoire français de manière durable. Si cet objectif n’a pas été formulé de manière explicite, au profit de formulations feutrées ou détournées, il n’en reste pas moins que c’est à partir de lui que s’éclaire l’ensemble des mesures prises par les autorités françaises depuis la visibilité de leur présence repérée fin 2016-début 2017 jusqu’à aujourd’hui. Cette politique a reposé sur deux volets : le refus ciblé de toute régularisation, sous quelque motif, combiné au refus d’une prise en charge conséquente. Cet article examine comment le premier refus a rendu ces enfants et adolescents marocains redevables d’un traitement prioritairement répressif.
Le refus ciblé de toute régularisation, sous quelque motif, combiné au refus d’une prise en charge conséquente.
La construction d’un « problème » politique
Le bilan qui peut être tiré de cette politique, élaborée à l’échelle de Paris puis de tout le pays, oblige à admettre son succès : les jeunes marocains venus seuls en Europe ont disparu des rues de la capitale comme celles d’autres villes de France. Soit, ils en ont été retirés à la faveur de détentions effectuées dans de nombreuses prisons, soit ils les ont eux-mêmes désertées pour fuir précisément cette répression judiciaire qui parachève, du fait d’incarcérations longues et/ou répétées, l’impossibilité d’une régularisation à l’âge de la majorité. L’évitement constaté de la destination française, par les jeunes marocains qui continuent à prendre la route de l’exil, peut être jugé provisoire à l’aune du déploiement des stratégies géographiques que leurs prédécesseurs ont développées au cours des dernières années, au gré du degré d’(in)hospitalité des différents pays européens. Quoi qu’il en soit, cette situation est bien celle qui caractérise la France en ce début de 2025. Cette politique combinant le refus de toute régularisation et celui de toute prise en charge adaptée et pérenne singularise la France, à distance particulièrement de l’Espagne qui assure une prise en charge des Marocains jusqu’à leurs 18 ans tout en les régularisant8, ou même de la Suède, qui certes se refuse à légaliser leur séjour à leur majorité mais leur garantit jusque-là les conditions d’une vie digne.
Cette répression ciblée 9n’a pas été étudiée en France alors que nous sommes bel et bien contemporains de la fin d’une séquence favorable à cette entreprise de documentation, dont il s’agit ici de poser les premières bases. Elle nécessite tout d’abord de reconstituer le processus de cette « policiarisation » du « problème des mineurs non accompagnés marocains », enclenché quelques mois après la visibilité de la présence de quelques dizaines d’enfants et adolescents livrés à eux-mêmes dans un quartier de Paris qui focalise, dans un premier et décisif temps, toute l’attention. Il s’agit ainsi d’établir la chronologie de sa face émergée constituée de déclarations, de décisions, d’accords, émanant des ministères de l’Intérieur et de la Justice tout en impliquant la Mairie de Paris et l’Etat marocain. Les férus de sciences politiques trouveraient ici quelques éléments de la construction d’un « problème » politique en lien étroit avec l’arsenal sélectionné en vue de le « résoudre ». Plus gravement au regard des vies abimées et brisées, il apparaît que cette politique s’est élaborée au fur et à mesure, en composant avec les dimensions locale et nationale ainsi qu’avec les différentes autorités et institutions concernées, et cela sans qu’elle ne soit explicitée ni pour autant dissimulée.
A suivre..
PS : Les avis exprimés dans cette rubrique ne représentent pas nécessairement les opinions du média ENASS.ma
| Par Samia Moucharik– chercheure indépendante
- Il faut préciser que sous cette catégorie, il faut entendre uniquement les jeunes arrivés très jeunes et en mauvaise santé, ayant quitté l’école au primaire. D’autres adolescents marocains arrivent en France en tant que « mineurs isolés », mais plus âgés et pourvus d’un niveau supérieur d’éducation. Ceux-ci sont pris en charge par les services compétents dès lors que leur minorité est reconnue. ↩︎
- La difficulté même d’établir un décompte constitue en soi un enjeu politique. ↩︎
- Qui ont pu déboucher, outre des déclarations publiques et à des accords, notamment avec l’Allemagne et la Suède dès 2016 et les Pays-Bas en 2023. ↩︎
- Avec une dimension instrumentale qui a largement guidé les attitudes des autorités marocaines et espagnoles en mai 2021 et en septembre 2024, lors de tentatives collectives de franchissement des frontières, la première facilitée, la seconde arrêtée. ↩︎
- Orthographe préférée à celle fidèle à la retranscription du nom en espagnol. ↩︎
- Qui présentent de larges échos avec ceux qui sont produits et circulent au Maroc à propos de ces mêmes jeunes sous le nom de « harragas » ↩︎
- Il faut préciser que sous cette catégorie, il faut entendre uniquement les jeunes arrivés très jeunes et en mauvaise santé, ayant quitté l’école au primaire. D’autres adolescents marocains arrivent en France en tant que « mineurs isolés », mais plus âgés et pourvus d’un niveau supérieur d’éducation. Ceux-ci sont pris en charge par les services compétents dès lors que leur minorité est reconnue. ↩︎
- Même si la régularisation peut être conditionnée. ↩︎
- Qui ne doit pas laisser penser que les autres adolescents venus seuls en France depuis d’autres pays africains ou de pays asiatiques reçoivent un traitement respectueux de leur dignité et des lois françaises et internationales. Simplement, les mineurs dits « subsahariens » constituent le contingent le plus important de ceux qui finissent, au terme de nombreuses épreuves et d’une longue patience, par être pris en charge et régularisés, tandis que les Marocains/Maghrébins sont plus souvent privés de leurs droits. Le traitement réservé aux Marocains venus très jeunes se présente extradérogatoire alors que le régime légal et pratique réservé à l’ensemble des mineurs venus de l’Afrique ou de l’Asie est déjà lui-même dérogatoire. ↩︎