Hawwâ, une damnée des frontières

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Les dramatiques évènements du 24 juin 2022 à Nador n’ont pas encore livré tous leurs secrets. Hawwâ, la seule demandeuse d’asile soudanaise qui a participé à la tentative d’entrée à Melilla, nous raconte son parcours. Récit exclusif. 

Rabat, quartier Qamra. Nous sommes partis à la rencontre de Hawwâ. Elle est sans abri, elle essaye de se cacher dans les petites ruelles de ce quartier bruyant. Elle a peur d’être arrêtée par les autorités et refoulée vers une autre ville du centre du Maroc. C’est son quotidien depuis un mois. Elle passe la journée à faire le tour du quartier. « Quand la nuit tombe je pars au marché pour me cacher et passer la nuit là-bas. S’il y a des Soudanais, je reste près d’eux. J’ai peur. Le matin dès l’aube on quitte ce lieu. Chacun de nous erre dans la ville car les autorités sont omniprésentes. On risque d’être refoulés à tout moment », nous explique Hawwâ, la peur au ventre, les larmes aux yeux. Elle accepte de nous ouvrir son cahier de souvenirs, fait de chagrin, de traumatisme et de résilience.

De Darfour vers la Libye: le début le périple

Hawwâ, dit être âgée de 45 ans. « Je suis veuve et mère de 3 enfants, mon mari et mes deux enfants ont été tués au Darfour au Soudan en 2005 », raconte-t-elle. Cette perte et ses conditions de vie instables l’ont poussée à quitter son pays pour protéger son troisième enfant.

« Quand mon mari était en vie, on menait une vie normale malgré les conditions difficiles au pays mais il avait un travail, on était bien », se rappelle-t-elle, avec nostalgie. Ce tournant dans sa vie fragilise sa situation : « Après la mort de mon mari, on nous a tout pris. Mon fils a dû s’exiler au Tchad pour travailler dans la recherche de l’or ». Et d’ajouter : « J’avais peur de le perdre aussi donc j’ai décidé de quitter le Soudan avec lui afin de chercher un avenir meilleur. Je voulais le protéger parce qu’il est ma seule raison d’exister ». 

« Je voulais protéger mon fils, c’est ma seule raison d’exister ».

Hawwâ

Comme une grande partie des réfugiés qui quittent le Soudan, cette demandeuse d’asile est partie en premier lieu vers le Tchad ensuite la Libye où elle a demandé l’asile auprès du Haut-commissariat aux réfugiés (HCR) elle et son fils. « Je croyais que si on demandait l’asile en Libye notre vie serait meilleure, qu’on aurait des conditions de vie dignes », relate-t-elle, avec déception. Elle découvre que la vie des personnes noires en Libye est très dure. 

Après quelques jours, son fils est kidnappé. « On a exigé de l’argent pour qu’il soit libéré sinon je n’allais plus le voir. J’ai été obligée de leur donner tout l’argent que j’avais ramené avec moi du pays. Tout ce qui m’intéressait à ce moment-là c’est que mon enfant soit libéré », confie-t-elle. Hawwâ paye la rançon et son fils retrouve sa liberté. Hélas, ses mésaventures en Libye sont loin d’être terminées. 

Sa tentative pour rejoindre l’Europe avec son fils se solde par une nouvelle arrestation et un retour à la case prison, elle et son fils. « J’ai été capturée par des milices et emprisonnée dans une prison libyenne. J’ai passé une quinzaine de jours avant de pouvoir m’échapper avec d’autres migrants », explique-t-elle. Par la suite, elle prend la fuite vers l’Algérie.

«Je n’avais jamais pensé à ce scénario, les choses sont devenues compliquées et je devais accepter ce qui se passait».

Hawwâ

« Je n’avais jamais pensé à ce scénario, les choses sont devenues compliquées et je devais accepter ce qui se passait. Je n’avais pas d’autres choix que de rentrer en Algérie », relate-t-elle, à bout de souffle. Son séjour algérien sera de courte durée, selon son témoignage. « J’ai passé une semaine avec ce groupe de migrants en forêt sur la frontière entre le Maroc et Algérie. Après, on s’est séparé et je suis restée seule pendant deux jours. J’ai donc décidé d’entrer au Maroc », affirme-t-elle. « J’ai eu de la chance. Je suis entrée sur le sol marocain dès la première tentative », poursuit-elle. Le Maroc, ce quatrième pays dans ce périple accidenté,  a failli lui être fatal, le 24 juin dernier.  

À suivre.

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