
C’est dans le contexte des débats actuels sur la réforme du Code de la famille que les premières Assises du féminisme se sont tenues le 16 décembre à Rabat. Faits marquants d’une première édition.

Nous nous trouvons au Sofitel Rabat, la salle de conférence de ce palace r’bati affiche complet. Des militantes féministes des premières générations, des femmes juristes, militantes associatives, universitaires, médecins, islamologues, historiennes, anthropologues, économistes, romancières, artistes et expertes sont toutes réunies aujourd’hui pour assister à cette rencontre au sommet entre différentes générations du mouvement féministe au Maroc, offrant ainsi un regard croisé sur les différentes époques des luttes pour l’égalité femmes/hommes.

« Le féminisme, est une lutte pour l’égalité des droits, l’émancipation et la liberté »
Aicha Zaimi Sakhri, présidente de l’Association pour la promotion de la culture de l’égalité (APCE)
« Le féminisme, est une lutte pour l’égalité des droits, l’émancipation et la liberté », rappelle d’emblée Aicha Zaimi Sakhri, présidente de l’Association pour la promotion de la culture de l’égalité (APCE), lors de cette rencontre ,son mot d’ouverture est d’expliquer la raison de rassembler « des militantes de toutes les générations afin de débattre de la situation des femmes au Maroc et l’égalité des droits ».
Devant un parterre de personnalités du monde associatif et académique, elle se dit optimiste pour l’avenir : « Aujourd’hui, il y a la nouvelle génération de militantes féministes, la relève est assurée », estime-t-elle. L’APCE est une nouvelle structure créée par Sakhri. Ce projet associatif s’ajoute à un projet médiatique intitulée « Egalité Mag ».
Un coup d’œil dans le rétroviseur

« La génération qui a dirigé cette lutte mérite un hommage, car elle a mené une bataille d’ampleur, préparant ainsi le terrain pour que la nouvelle génération puisse aujourd’hui prendre la relève ».
Latéfa Bouhssini, universitaire
L’universitaire Latéfa Bouhssini est la première à prendre la parole dans cette journée bien remplie. Le professeure universitaire et militante pour les droits humains dresse une rétrospective des moments significatifs du mouvement féminin au Maroc, remontant aux années 1945 « où ce mouvement a joué un rôle majeur ». Elle souligne ainsi « l’engagement d’associations œuvrant activement pour le féminisme ainsi que les actions politiques entreprises dans cette direction ».Et elle explique que « Cette histoire mériterait d’être connue et développée aujourd’hui ».
« La génération qui a dirigé cette lutte mérite un hommage, car elle a mené une bataille d’ampleur, préparant ainsi le terrain pour que la nouvelle génération puisse aujourd’hui prendre la relève », insiste-t-elle.
Et d’ajouter « C’est encourageant de voir de nombreuses initiatives de la nouvelle génération, même dans un contexte politique difficile où l’on observe une réduction de la liberté d’expression, ce qui aura sûrement des conséquences sur les résultats, car c’est un combat politique », conclue-t-elle.
Dialogue de deux générations
« Nous sommes à un point de rupture, un moment de l’histoire visant à mettre un terme aux injustices dont les femmes sont victimes».
Chama Tahiri, journaliste et militante féministe.
Pour cette première édition, le thème du Code de la famille, actuellement en révision, s’est imposé comme un sujet central. Certaines interventions, telles que celle de Rabéa Naciri, une figure du mouvement féministe au Maroc, ou celle de Rkia Belloute, leader du mouvement des femmes soulalyate, ont marqué cette journée de manière significative. Les deux générations de militantes et militants, la génération historique des années 80-90 et celle de l’ère numérique aujourd’hui, ont eu l’occasion de se rencontrer et d’interagir.
« Aujourd’hui l’appel ne se limite plus à une simple réforme de la Moudawana, mais plutôt à une refonte totale et radicale».
Chama Tahiri, journaliste et militante féministe.
Pour les participantes, cette réforme annoncée est plus qu’une nécessité, elle est jugée « urgente » du fait que si la révision de 2004 a apporté des avancées, elle ne parvient plus « à répondre aujourd’hui à tous les défis auxquels la société marocaine est confrontée ».
« Nous sommes à un point de rupture, un moment de l’histoire visant à mettre un terme aux injustices dont les femmes sont victimes. Désormais, l’appel ne se limite plus à une simple réforme de la Moudawana, mais plutôt à une refonte totale et radicale, incluant une révision de tout le lexique considéré comme dégradant envers les femmes », souligne Chama Tahiri, journaliste et militante féministe.
De son côté, la sociologue Leila Bouasria note les paradoxes des réalités familiales au Maroc. « La réalité que nous vivons est faite de recompositions des rôles, non seulement au sein de la famille, mais entre les relations des hommes et des femmes. En même temps, nous nous accrochons à une idée de famille qui repose sur une division des rôles complémentaires, fondée sur sa stabilité ».
Elle ajoute : « Nous avons des valeurs individualistes, un changement dans les relations verticales vers plus d’individualisation, mais en même temps, nous nous attachons à une famille collective. Aujourd’hui, nous constatons que celle-ci est de moins en moins une source de services pour la société, mais plutôt attentive à ses besoins individuels ».
En ce qui concerne le mouvement actuel du féminisme, la sociologue affirme « qu’il est intéressant de constater qu’aujourd’hui, que nous n’avons pas un seul modèle, mais que nous sommes confrontés à une diversité de modèles qui s’expriment différemment tout en visant le même objectif ».
Les féministes présentes étaient unanimes pour affirmer que le Code de la famille de 2004 a marqué « une révolution » dans les droits des femmes au Maroc par rapport à celui de 1993. La Moudawana a introduit des avancées majeures, telles que l’établissement de l’égalité entre les hommes et les femmes en matière de mariage, l’élimination de la discrimination entre les sexes (notamment en abolissant le consentement du tuteur légal de la femme, pour le mariage), la fixation de l’âge minimal du mariage à 18 ans pour les hommes et les femmes, ainsi que l’établissement de l’égalité des droits et des devoirs des époux au sein de cette institution qu’est le mariage. Cependant, du point de vue des féministes, ces changements « significatifs » demeuraient « incomplets, car des injustices sociales persistaient ».
Enfin, le débat sur l’héritage a été ouvert en notant une recommandation principale consistant à abolir la discrimination basée sur le sexe et la religion. Selon la féministe et universitaire Rabéa Naciri : « il est désormais essentiel d’établir l’égalité dans les parts successorales entre les femmes et les hommes, tout en éliminant le principe du Tâasib qui prévoit qu’en l’absence d’autres héritiers masculins, l’homme le plus proche entre dans la succession lorsque les femmes sont les seules héritières ». Cette rencontre a permis d’échanger les points de vue entre les générations féministes mais aussi de faire une synthèse des enjeux majeurs en discussion autour de l’éminente réforme du Code de la famille au Maroc.