
Les dérèglements climatiques touchent de manière disproportionnée les populations vulnérables au Maroc et ailleurs. Les nomades, les petits paysans, les femmes, les jeunes sont parmi les plus touchés et poussés à la migration climatique. Focus.

Assia Elmesk, jeune engagée dans la question climatique et membre de “Youth for Climate Change a partagé son expérience en illustrant la manière dont les problèmes liés aux changements climatiques affectent les populations.
Lors de la deuxième session du Carrefour de la migration, un regard croisé a eu lieu entre experts et membres de la société civile pour discuter des implications croissantes des changements climatiques sur les déplacements humains. Les relations sont complexes entre migrations et climat mais une seule certitude pour le moment : les plus vulnérables paireront le prix le plus élevé des catastrophes naturelles en cours et à venir.
Paysans sans terre, sans eau

« Il est important aujourd’hui de mener des action concrètes pour relever les défis climatiques qui touchent les communautés »,
Assia Elmesk, Youth for Climate Change
« À Zagora, par exemple, elle a évoqué la production de dattes, soulignant que les revenus de 73% de la population dépendent de cette activité, exacerbant les conséquences de la rareté de l’eau », explique-t-elle.
Elle a mis en lumière le lien profond entre ces populations et leur terre, pointant du doigt la relation entre le changement climatique, migration et santé. Elle également souligné le « rôle crucial de la société civile en tant qu’intermédiaire essentiel entre les populations et les décideurs en évoquant l’initiative “Youth for Climate Change”, mettant en avant l’importance de politiques publiques adaptées au contexte marocain et à ses populations. ».
« Il est important aujourd’hui de mener des action concrètes pour relever les défis climatiques qui touchent les communautés », affirme-t-elle.
De sa part Saïd Skounti, un jeune engagé membre de l’Initiative Imal pour le Climat et le Développement, partage une perspective personnelle sur les impacts des changements climatiques, particulièrement sur les nomades, dont il est lui- même le fils. Il souligne que les nomades sont parmi les plus touchés, bien que leur situation soit souvent ignorée.
«Il est crucial de noter que la migration ne constitue pas simplement un problème, mais plutôt une forme d’ajustement aux changements climatiques »
Saïd, représentant de Imal initiative pour climat et développement.
« Il est crucial de noter que la migration ne constitue pas simplement un problème, mais plutôt une forme d’ajustement aux changements climatiques. Il est essentiel de ne pas perdre de vue que quitter son lieu de résidence a un impact considérable, en particulier sur la population directement concernée », explique-t-il.
Ainsi ce jeune a insisté sur le rôle crucial de la société civile dans la pression qu’elle doit exercer sur les États en soulignant que ces populations locales n’ont pas créé les changements climatiques mais subissent les conséquences.
Dans le même sens, ce jeune activiste a appelé à « des actions concrètes, notamment des contributions financières des pays responsables des changements climatiques. Il dénonce les fausses promesses et souligne les injustices sociales et climatiques croissantes, particulièrement en cette période critique ».
Il a également souligné le rôle essentiel des jeunes dans cette lutte, mettant en évidence leur vulnérabilité face aux catastrophes naturelles. « Il est important à présent d’incorporer les enjeux climatiques dans les initiatives politiques tout en exerçant une pression sur les décideurs à l’échelle nationale et internationale », a-t-il conclu.
« À travers ce podcast, nous donnons la parole à ces femmes et à ces hommes qui subissent l’impact des changements climatiques de plein fouet».
Dounia Mseffer, journaliste indépendante et réalisatrice du Podcast 3attchanin.
Dans le podcast “3attchanin” diffusé en avant-première lors du Carrefour de la migration se dévoile également l’effet des dérèglements climatiques et des choix de politiques publiques sur les femmes. Ce podcast raconte l’histoire poignante d’une famille du Douar Oulad Si Ghanem, bordant le barrage d’Al Massira face à la soif et au stress hydrique. Dounia Mseffer, journaliste indépendante et réalisatrice de ce podcast a donné la voix aux femmes et hommes oubliés, subissant les séquelles des changements climatiques.
« À travers ce podcast, nous donnons la parole à ces femmes et à ces hommes qui subissent l’impact des changements climatiques de plein fouet. Certains ont choisi de partir, d’autres envisagent de le faire, tandis que certains se sont résiliés d’une certaine manière et ont décidé de rester sur leur terre», souligne Dounia Mseffer.
Pour comprendre ces effets sur les plus vulnérables, il faut aussi porter un regard macro sur la situation climatique dans le monde et tenter d’analyser les responsabilités de chacun des acteurs.
Migration climatique : Qui supporte le poids de la crise ?

« La véritable tragédie se dévoile lorsqu’on examine qui subit les effets dévastateurs de ce réchauffement climatique »
Mehdi Lahlou, professeur universitaire
Lors de ce panel, l’universitaire Mehdi Lahlou a mis en lumière la question fondamentale : Qui est responsable de la crise climatique ? Les coupables, selon lui, sont les puissances industrielles telles que l’Europe occidentale, les Etats-Unis, et plus récemment, la Chine, ainsi que des nations du golfe persique comme les Émirats arabes unies, le Qatar, l’Arabie Saoudite, et même l’Australie. Cependant, « la véritable tragédie se dévoile lorsqu’on examine qui subit les effets dévastateurs de ce réchauffement climatique », alerte-t-il
« Ce sont les moins fortunés, ceux qui ne peuvent pas faire face et qui contribuent involontairement à cette crise climatique, que ce soit par ignorance ou en raison du manque de bonnes gouvernances et de politiques publiques appropriées », comme l’explique le professeur universitaire Mehdi Lahlou.
Le président de l’Association pour le contrat mondial de l’eau (AMCE) au Maroc pointe du doigt « l’impérialisme occidental à travers leurs corporations ». « Ces entreprises exercent leur autorité sans retenue sur les pays africains, agissant selon leur bon vouloir et détruisant les richesses de ces nations. Leur absence totale d’empathie envers les pays d’Afrique se manifeste par leur comportement, faisant chez nous ce qu’ils ne peuvent pas faire chez eux », relate-t-il.
Une part de responsabilité incombe aussi aux pays du Sud comme du Nord. « Le réchauffement climatique, loin d’être un hasard, résulte des politiques publiques inappropriées et d’une mauvaise gestion. Lorsqu’un pays occidental intervient dans un pays du Sud, agissant à sa guise et détruisant ce qu’il souhaite, les conséquences désastreuses s’ensuivent ».
« La crise climatique aggrave ainsi les inégalités et alimente un flux migratoire tragique ».
Mehdi Lahlou, professeur universitaire.
« Cette dure réalité se reflète dans la statistique selon laquelle 23 des 25 pays les plus pauvres de la planète sont africains. La pauvreté croissante, la croissance démographique incontrôlée, la raréfaction des ressources conduisent à une migration massive vers les villes, forçant ceux qui ne peuvent y rester à chercher refuge ailleurs. La crise climatique aggrave ainsi les inégalités et alimente un flux migratoire tragique », poursuit-il.
Au Maroc, sans eau, les populations migrent
Dans le même contexte, il fait un focus sur le Maroc, imprégné de son climat méditerranéen, désertique et semi-aride ancestral, qui ressent de manière croissante les impacts du réchauffement climatique.
Le professeur Mehdi Lahlou souligne cette accélération, en particulier dans les oasis de Tafilalet, où les palmiers sont en proie aux flammes. Cette région, depuis longtemps marquée par un exode rural persistant, voit ses défis exacerbés.
«Cette quête incessante d’eau plus profonde appauvrit la population, la poussant à une mobilité accrue vers des destinations telles qu’Errachidia, Meknès, Fès. Alors que les palmeraies prospèrent à Tafilalet, la situation des nécessiteux s’aggrave à Fès et Meknès ».
« Entre 2005 et 2008, le Maroc a lancé l’initiative du Maroc Vert en supposant que le pays, avec déjà des problèmes de rareté des pluies, pouvait néanmoins soutenir un projet axé sur une politique verte. Cependant, cette décision s’est avérée être un choix inapproprié étant donné que le Maroc souffre déjà de la pénurie de pluie, n’étant pas en mesure de soutenir efficacement une politique verte », explique-t-il.
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Et d’ajouter: « A partir de 2008, le focus s’est porté sur la plantation de palmiers, débutant avec des palmiers de deux mètres, puis de dix mètres, produisant notamment la datte Mejhoul de qualité. Cependant, cette expansion génère une demande d’eau considérable, passant de quelques litres par jour dans les oasis normales à 50 litres par jour. Cette quête incessante d’eau plus profonde appauvrit la population, la poussant à une mobilité accrue vers des destinations telles qu’Errachidia, Meknès, Fès. Alors que les palmeraies prospèrent à Tafilalet, la situation des nécessiteux s’aggrave à Fès et Meknès ».
Il souligne également « la présence de Marocains, d’étrangers, notamment des Israéliens, ayant acquis des centaines d’hectares pour produire des dattes mejhoul, concurrençant ainsi la production locale. «Ces mêmes individus financent des actions violentes à Gaza et tuant des militant de civiles », regrette-t-il.
Il conclut en mettant en avant le manque de statistiques précises sur les migrations climatiques et en soulignant que l’impact de ces changements climatiques touche l’ensemble de la population, certains disposent de ressources pour la gérer, tandis que d’autres, dépourvus de moyens, se retrouvent écrasés tant par les politiques publiques nationales que par celles des autres nations.
Cette 7ème édition du Carrefour de la Migration, le deuxième panel a éclairé la relation entre les changements climatiques et les déplacements humains. Comprendre cette connexion cruciale est essentiel pour anticiper les défis à venir. À la croisée des chemins, l’articulation entre climat et mobilité appelle à des solutions réfléchies pour un avenir plus résilient.
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