« Racisme à Agadir » : Trois clés pour comprendre

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Une journée à la plage. Une avalanche de haine. Derrière une scène banale, les contours d’un racisme décomplexé, nourri par des tensions invisibilisées. Décryptage.

Dimanche 8 juin, des personnes migrantes, principalement originaires d’Afrique subsaharienne, ont profité du jour férié de l’Aïd et du soleil pour se rendre en groupe à la plage d’Agadir. Rires, musique, pique-nique, détente : une scène banale de vie en communauté dans un espace public.

Scène ordinaire, réactions racistes

Les images, pourtant ordinaires, déclenchent une vague de commentaires racistes.

Mais très vite, les vidéos de cette journée sont détournées et instrumentalisées sur les réseaux sociaux. Les images, pourtant ordinaires, déclenchent une vague de commentaires racistes. Les mots « envahissement », « insécurité », « débordement » ou « insalubrité » circulent, construisant une narration déformée et hostile d’un moment de détente collectif.

Les mots « envahissement », « insécurité », « débordement » ou « insalubrité » circulent, construisant une narration déformée et hostile d’un moment de détente collectif.

Certains médias n’ont fait que renforcer cette perception biaisée. Dans plusieurs articles, on peut lire : « Les rives de la plage s’étendant de la Marina d’Agadir jusqu’aux limites du quartier Anza se sont remplies de groupes de jeunes et de familles africaines, venues fuir la chaleur des quartiers périphériques. » Un vocabulaire apparemment descriptif, mais profondément stigmatisant. Il suggère une rupture, une présence inhabituelle, presque inquiétante.

C’est une crispation raciale assumée, où la visibilité des personnes noires devient, à elle seule, un déclencheur de rejet.

Face à cette narration empreinte de condescendance, plusieurs voix locales rappellent l’essentiel : l’accès à la plage est un droit fondamental. Aucune loi ne peut restreindre son usage sur la base de l’origine ou de la couleur de peau. Ce que cette polémique révèle, ce n’est pas un problème de fréquentation, mais bien une crispation raciale assumée, où la visibilité des personnes noires devient, à elle seule, un déclencheur de rejet.

Un ancrage migratoire ancien et toujours marginalisé

L’arrivée de personnes migrantes dans la région d’Agadir ne date pas d’hier. Dès les années 2000, l’essor de l’agriculture d’exportation transforme plusieurs communes rurales, Aït Amira, Leqliâ, Biougra, en zones de travail saisonnier. À partir de 2018, ces mêmes territoires attirent un nombre croissant de personnes originaires d’Afrique subsaharienne, en quête d’emplois et d’un peu de stabilité, loin des rafles et expulsions.

Aujourd’hui, cette présence s’inscrit dans le temps. Selon le RGPH 2024, la commune de Leqliâ par exemple accueille plus de 1 200 personnes étrangères, soit la plus forte proportion d’habitants d’origine étrangère dans toute la province d’Inezgane-Aït Melloul. En dix ans, la population y a bondi de 29 %, révélant des tensions nouvelles autour du logement, de l’accès aux droits et du vivre-ensemble.

Précarité, agressions, invisibilité, racisme : ce que vivent les migrant·e·s

Les tensions entre la communauté migrante et les populations locales restent vives dans la région d’Agadir, notamment dans des communes comme Leqliâ et Aït Amira. Plusieurs incidents graves ont marqué ces dernières années, dont le drame du 16 novembre à Leqliâ, et avant celui survenu en février 2024 à Aït Amira. Ces événements, parfois amplifiés par de fausses informations et un manque criant de communication transparente, nourrissent souvent des stigmates et exacerbent les tensions sociales.

Dans une note du Collectif des Communautés Subsahariennes au Maroc (CCSM), dresse un tableau préoccupant de la situation. Les migrant·e·s vivant dans la région dénoncent un accès extrêmement difficile aux services publics essentiels, justice, santé, éducation, état civil, mais surtout un climat d’insécurité qui pèse lourdement sur leur quotidien.

« Nous travaillons tôt, souvent dans les champs ou les magasins. Mais dans la rue, on se fait agresser pour un téléphone. On ne peut même pas porter plainte », confie un travailleur migrant. La peur est omniprésente, parfois même entre migrant·e·s, dans un climat de défiance et d’absence de recours.

La région de Souss-Massa bénéficie pourtant de plusieurs projets soutenus par l’Union européenne visant à améliorer l’inclusion des personnes migrantes. Mais sur le terrain, les résultats peinent à se faire sentir. Le fossé entre politiques affichées et réalités locales se creuse.

Le 8 juin, sur la plage d’Agadir, simplement profiter d’un espace public est devenu un acte contesté. Ce rejet brutal expose non seulement les fractures sociales, mais aussi l’urgence d’une prise de conscience collective face à une intolérance grandissante.

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