À Zenata, Grafitis pour l’Hrig

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La plage de Zenata incarne le malaise profond d’une jeunesse, et même de tout un pays. Cette bande côtière, s’étendant entre Ain Sbâa et Mohammedia, est devenue une zone de “Hrig”, le départ clandestin de jeunes candidats à l’émigration irrégulière. Billet d’humeur.

Zenata est paradoxale ! Longtemps plage polluée, elle est aujourd’hui le “hub” écologique du Groupe CDG, qui y a érigé sa “ville verte”. La Société d’Aménagement Zenata (SAZ), aménageur public et filiale de la CDG, a procédé à l’expulsion des habitants locaux, logés dans des bidonvilles et vivant d’une petite économie côtière (pêche, activités estivales, etc.). Ces autochtones ont été éloignés de la côte et relogés dans la Commune d’Ain Harouda.

L’Etat décide de créer une nouvelle ville, Eco-Cité de Zenata. Opération de prédation foncière « classique » avec un vernis Green.

À la place, l’État a décidé de créer une nouvelle ville : l’Eco-Cité de Zenata. Il s’agit d’une opération de prédation foncière “classique” mais recouverte d’un vernis “green”. Au passage, les cabanons et maisons érigés sur le domaine public maritime ont également été détruits. La petite et la grande Zenata sont désormais des zones en ruine. L’État y investit des sommes considérables issues des fonds publics et de la dette publique. La SAZ a ainsi obtenu un prêt de 150 millions d’euros de l’Agence Française de Développement (AFD) et un autre du même montant de la Banque Européenne d’Investissement (BEI), auxquels s’ajoutent les financements de la CDG. Au total, l’investissement global s’élève à 23 milliards de DH. En somme, c’est le “Maroc en mouvement” néolibéral, un chantier dont les projets, bien que financés par le public, bénéficient au grand capital national et international. Mais Zenata, c’est aussi une autre histoire qui s’écrit.

Graffitis pour le “Hrig”

Sur cette plage, cette jeunesse a écrit son testament.

Cette plage polluée est devenue un point de départ inattendu pour des embarcations clandestines vers l’Espagne. La fermeture des côtes nord de la Méditerranée pousse les passeurs et leurs clients à trouver d’autres voies, même les plus dangereuses. L’effet de contagion, avec un retour de la “culture du hrig”, a rendu ce marché de la mort rentable. Des trafiquants profitent du “désir d’ailleurs” d’une jeunesse marocaine exclue du processus de développement pour les inciter à se risquer dans l’Atlantique. Depuis 2018, les nouvelles de ces départs et de leurs drames ne cessent de tomber. Sur cette plage, cette jeunesse a écrit son testament, sa complainte.

Sur des graffitis, on peut lire : « Travaille, ramasse de l’argent et Hrig. » Sur les vestiges de cette ancienne plage, d’autres ont écrit à l’encre noire : « Harga Europe 2024. » Un troisième tag promet : « Rendez-vous avec l’Exil (Ghorba) », avec des grillages en arrière-plan. Un quatrième tag s’adresse aux mères : « Vous m’excuserez, chère Mère, mon bonheur se trouve au-delà de cette mer. » Enfin, un dernier tag résume philosophiquement : « L’émigration est une idée et les idées ne meurent pas. »

La plage de Zenata, que l’État et ses aménageurs néolibéraux public-privé promettent à la jeunesse de cette zone, sera une jolie plage et une côte offrant quelques opportunités d’emplois de survie. C’est un modèle économique et de développement que visiblement la jeunesse ne veut pas, un véritable pied de nez à tout ce modèle et à sa propagande.

Dans quelques mois et années, la plage de Zenata sera une belle plage dépolluée grâce à un financement public coûteux. Dans cette nouvelle ville-dortoir s’installent déjà une classe moyenne et des résidents Airbnb pour profiter de cette zone côtière. Une partie de la jeunesse de Casablanca et d’ailleurs au Maroc viendra servir dans ces zones pour des métiers précaires de “service”. Une autre partie refusera cette “offre de sous-développement” et poursuivra son idée migratoire, avec tous les risques et périls.

Pour aller plus loin, lire : Migration au Maroc, l’impasse ?, Editions En Toutes Lettres, 2019

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