
À Tizi N’Oucheg, un petit village du Haut-Atlas, Rachid El-Mandili a développé de nombreux projets, notamment dans le domaine de l’eau potable, avec l’objectif de transformer Tizi n’Oucheg en village modèle dans la région.

Par Houda Belkhouda
Tizi N’Oucheg est un lieu où la créativité et l’innovation se rejoignent, un endroit qui illustre la volonté de l’être humain, sa lutte spirituelle et physique… Il s’agit d’une localité qui a brisé tous les préjugés sur les populations rurales des régions montagneuses. Réalité ou rêve ? En tout cas, chaque partie de ce village raconte une version différente d’un conte entouré d’idées instructives et d’un travail titanesque.
Quand j’ai mis le pied sur cette terre bénie, j’ai senti quelque chose d’étrange, mais de beau. On sent que chaque partie de cette terre a un rôle spécifique et pertinent qui porte les signes du développement. Je ne savais pas que j’allais voir tout cela, dans un village au milieu des montagnes du Haut-Atlas, loin de la vie citadine et ce qu’offrent les villes.

Peut-on dire que la multiplicité des expériences humaines est l’élément qui développe la créativité et l’intelligence sociale ? Oui, c’est ce que l’histoire de Rachid nous apprend. Il s’agit d’un homme pour qui le voyage a été une école d’apprentissage et de créativité et qui n’a pas lésiné à en faire profiter son village. Mieux, il a contribué à ce que le nom de lieu d’origine soit reconnu et respecté de tous.
Rachid El-Mandili est né en 1976 dans le village de Tizi n’Oucheg dans la commune de Setti Fatima, à une heure et demie de Marrakech. Il est celui qui a insufflé la renaissance à ce village, duquel il est parti très tôt, après avoir perdu l’espoir de poursuivre ses études, compte tenu de son extrême pauvreté, la grande distance entre sa maison et l’école ainsi que les routes montagneuses difficiles.
Pour plus de détails, il est judicieux de soulever d’abord l’importance de l’eau comme élément essentiel et fondamental de la vie ; le moteur qui fait tourner toutes les composantes de cet univers.
Ces dernières années, un manque flagrant de précipitations, signe d’une longue sécheresse pèse sur certaines régions. Parfaite illustration de ce phénomène, Tizi n’Oucheg a connu une baisse significative des précipitations en général. De par sa capacité à alimenter les nappes phréatiques, ce qui contribue à préserver la durabilité des sources, la diminution des chutes de neige a été particulièrement ressentie. Le nombre de sources est par conséquent passé de sept sources à trois, bouleversant ainsi entre 90% et 100% des activités de la population, selon Rachid Al-Mandili. Ce manque à gagner, il est compensé par l’élevage et des cultures comme les légumes, le maïs et l’orge, dont la récolte est soit stockée ou vendue.

Cette sécheresse a entraîné, entre 2018 et 2023, la mort de 50 % des canneberges, des figuiers et des arbres de Pitaya, conformément à ce que nous a dit Rashid Al-Mandili. Cela a fortement contribué à la baisse de la qualité et de la productivité agricole et par ricochet, à la baisse des revenus des familles, sinon à leur disparition. Il s’agit d’une relation de cause à effet entre la pénurie d’eau et le déclin de l’agriculture, un déclin qui affecte le bétail, notamment les vaches, les chèvres et les ovins. Ces activités garantissaient une entrée d’argent aux villageois grâce à la vente de la viande, des produits laitiers et d’autres produits animaliers. La vente du bétail, justifiée par la hausse des prix, élimine pour autant une source secondaire de revenu, ce qui contribue à la dégradation du niveau de vie et du pouvoir d’achat.
Il est ainsi indispensable d’étudier sérieusement ce dilemme, dont les effets latents sont plus graves que ce que peut montrer tout diagnostic. D’emblée, nous constaterons que ce problème risque de chambouler l’équilibre social de la région, tenant en compte l’incapacité du paysan à rester inactif. Quel travail fera-t-il ? Comment remplira-t-il son temps libre ? Comment subviendra-t-il aux besoins de sa famille ? Restera-t-il inactif pendant longtemps ? Naturellement, non. Il ira sûrement chercher à trouver une autre alternative. C’est précisément ce que les hommes de ce village ont fait. Ils ont opté pour l’émigration comme solution pour compenser ce qu’ils ont perdu. Certains d’entre eux sont allés dans les villes, comme à Guelmim, ville située dans le Sahara du Maroc, pour travailler dans la construction. D’autres n’ont trouvé comme solution que le travail à la tâche, où les ouvriers se mettent tous ensemble dans un endroit en attendant qu’on fasse appel à leur service.
Le problème ne s’est pas limité à ceci. Certains d’entre eux sont retournés au village non pas pour y rester, mais pour emmener leur famille avec eux. Ce phénomène de l’exode rural a toujours été abordé par l’État qui a essayé de l’atténuer. Quand les sources de revenu sont compromises, il est impossible de garantir les premières nécessités. Pis, cela mène au décrochage scolaire, une résultante du phénomène de l’exode. Il s’agit là d’une chaîne de phénomènes sociaux qui trouve son origine principale dans la sécheresse en un lien de causalité dont les maillons sont séquentiels et interdépendants. En d’autres termes, le changement climatique induit par les activités humaines a accru la probabilité de sécheresse, contribuant directement au développement de problèmes sociaux comme l’exode rural et le décrochage scolaire.
L’obsession pour l’exode a une explication. Les éléments précurseurs à l’origine de l’idée du départ convergent tous vers une sécheresse imparable, dont il s’impose d’étudier les conséquences et les effets. Son impact ne se limite pas au volet économique, mais sera plus profond et plus fort, s’étendant même aux habitudes et aux modes de vie du village. « Nous avons perdu le sourire innocent et les rassemblements familiaux à tel point que nous sommes devenus comme des étrangers. Tout le monde est parti à la recherche d’un moyen pour subvenir aux besoins de sa famille. Nous n’avons pas encore absorbé l’ampleur de cette désagrégation de notre société », nous dit un vieux du village en une lamentation affligeante.
Ces changements ne doivent pas être pris à la légère, car leurs effets empirent jour après jour. L’évolution du mode de vie a entraîné un changement de paradigme qui a aussi affecté notre réaction face à ces nouveaux paramètres. L’épuisement des ressources n’est pas un danger en soi, contrairement à l’absence d’une attitude qui soit en phase avec la spécificité et l’équilibre de l’univers. En cas de déséquilibre, les pertes seront plus graves. C’est comme si les villageois vivent constamment dans un environnement sur lequel domine la couleur brune de la sécheresse, après la disparition presque complète de tout ce qui est vert, ainsi que la mort du bétail, considéré jadis comme partie prenante de la vie quotidienne.

Dans ces conditions difficiles, l’association dirigée par Rachid El-Mandili, a travaillé sur une série de projets simples et innovants. Certains projets tournent autour de l’eau potable, l’assainissement, le boisement, l’agriculture et l’industrie manufacturière. Mais cela n’était pas si facile, car il fallait d’abord créer une association, nommée Tizi n’Oucheg. El-Mendili a essayé ensuite d’exploiter l’expérience qu’il avait acquise lors de ses déplacements en faisant des métiers tels que la ferronnerie, la menuiserie, la cuisine, le guidage touristique, l’accueil, l’animation et la construction… Ces expériences lui avaient surtout servi comme un moyen d’acquérir plus de connaissances.
Après une longue absence dans différentes régions du Maroc, il a décidé de retourner dans son village, non seulement par souci de stabilité, mais aussi pour y investir et contribuer à son développement. Cette décision a été couronnée par un ensemble d’objectifs qui font de Tizi n’Oucheg un village modèle aujourd’hui, avec un mode de vie qui allie civilisation et technologie. Lorsqu’il a décidé de lancer un gîte touristique, il a d’abord commencé avec un petit appartement, avant de se développer grâce à un réseau de relations qu’il a tissées avec les visiteurs du village.

La décision d’El-Mandili de construire une auberge n’est pas venue par coïncidence. Ce village est situé au milieu du Haut-Atlas, où un grand nombre de touristes étrangers et marocains viennent découvrir la montagne et faire de l’escalade. Cela était donc urgent de répondre au besoin des touristes de trouver un endroit approprié pour passer la nuit dans les conditions convenables. Ce gîte se caractérise d’autant plus par une remarquable décoration amazighe qui se reflète sur le mobilier, la nourriture, les habitudes et les cérémonies d’accueil. L’absence d’un tel projet avait un impact négatif sur la durée de séjour touristique à Tizi n’Oucheg.
Après la création de cette auberge, les villageois, menés par Rachid, ont œuvré pour développer la structure de l’association et identifier une liste de projets en fonction des besoins fondamentaux du village et surtout des moyens disponibles. Le plus important projet était celui de l’eau potable, qui a permis de passer des méthodes de stockage naturel, comme la « Metfia », à l’acheminement direct de l’eau à partir des sources au village. Ce projet, un remède contre le risque de propagation de maladies comme le choléra, a été achevé en 2011. Un autre projet d’assainissement, tout aussi indispensable, a été finalisé à travers la construction d’une station d’épuration qui permet de réutiliser les eaux usées dans l’irrigation.
Tizi n’Oucheg est le premier village au Maroc à bénéficier de cette technologie, grâce à l’aide d’un jeune chercheur marocain établi en Chine et à Rachid El-Mandili. Unique en son genre, la technique utilisée n’utilise aucun produit chimique. L’ensemble des matériaux utilisés comprend par contre 10% de sciure, 10% de charbon, 10% de fer et 70% de sable. Tous ces ingrédients sont placés dans des roulements, afin que le processus de filtrage se déroule à travers un ensemble de niveaux successifs. Après le succès de cette expérience, elle a été dupliquée dans d’autres villages adjacents en raison de sa facilité et de son coût très bas.
Une vaste campagne de boisement a également été planifiée dans la région, avec l’aide de la Fondation Haut-Atlas. Ce projet consiste à forer un puits qui contribuera à l’irrigation d’environ 1 400 arbres variés comme la baie, le figuier ou le rosier des chiens. Cela augmentera la productivité des coopératives spécialisées en confiture, lesquelles feront appel à plus de main-d’œuvre, générant ainsi des revenus économiques importants pour les familles. Il n’est pas exclu qu’une opération de commercialisation au niveau national, et même à l’international soit menée par la suite, reflétant la stratégie du village. Ainsi, environ 100 tonnes de m3 seront pompées quotidiennement, une quantité suffisante pour renforcer l’agriculture, raviver le secteur de l’élevage et redonner au village sa vie d’antan. En 2017, les villageois ont pu construire un stade, dont la cérémonie d’ouverture a été suivie par plusieurs personnalités, y compris le sélectionneur national de football de l’époque, Hervé Renard. Tous ces acquis ont été atteints grâce aux efforts considérables et concertés de tous les villageois.
D’autres projets tout aussi importants valent d’être mis en avant. Force est de constater que le secret de ce succès réside dans la forte volonté des habitants, conjuguée à la planification rationnelle d’un homme prêt à apprendre et ouvert aux différentes cultures. Il convient aussi de mentionner le rôle central joué par l’auberge dans le développement de la région. Cet établissement accueille parmi ses visiteurs des entrepreneurs, des financiers et des militants de la société civile, assurant ainsi une communication sans intermédiaire avec ces partenaires. En effet, les moyens de communication virtuelle ou à distance sont inefficaces, comparés à une prise de contact directe capable de les adhérer à la cause du village. Leur présence permet de constater la volonté des habitants de Tizi n’Oucheg et leur travail acharné pour réaliser les projets lancés. Pour ce qui est de la main-d’œuvre, elle est constituée des habitants du village à 100%.
La consolidation des efforts des habitants ressemble à une œuvre artistique où se mêlent des images de maîtrise et de labeur. Tous travaillent pour un objectif spécifique et commun. Le développement de la région n’est pas conséquemment le résultat du financement externe, mais de la volonté de changement des habitants ainsi que la confiance solide qui existe entre eux et entre les membres de l’association, en particulier Rachid El-Mandili. On peut y déceler des sacrifices, mais aussi un amour sincère et sans intérêts. Les habitants n’aspiraient pas à une rétribution financière, mais ils ont été récompensés par le développement et la promotion de leur village, devenu un exemple de réussite vivant.
L’approche participative basée sur la sensibilisation des villageois a fait la différence. Le travail est devenu une œuvre collective et non-individuelle, de même que la mise en place d’un objectif commun et des efforts consolidés a garanti un résultat positif. Cette approche est également associée à un sentiment d’appartenance, ce qui constitue une base solide pour la contribution de tout un chacun.
De plus, la concentration d’un large éventail de personnes autour d’un processus de planification permet de sortir avec plus de perspectives et d’idées. C’est cette stratégie qui a été suivie au village, sous la houlette de Rachid Al-Mandili, un leader qui a semé les graines de l’espoir et de la volonté dans le cœur des jeunes de la région. Cette prise de conscience au sein de la population est le fruit d’un travail acharné et de directives saines et efficaces.
Résultat, personne n’évoque plus ses envies et ses craintes. Sous le slogan « l’intérêt du village prime », les discours sont dorénavant conjugués au pluriel. Aujourd’hui, le village de Tizi n’Oucheg évoque le développement et de l’innovation. Cela souligne l’importance des leaders, capables de faire le premier pas et de montrer le chemin aux autres. À partir de là, le commencement effectif du travail a lieu, reliant les efforts entrepris aux résultats. Toutes ces qualités sont représentées dans ce village typique, actif sur plusieurs fronts : l’éducation, l’économie, le social et l’environnement. Ses habitats sont partis du néant pour être là où ils sont aujourd’hui. Ils sont un modèle à suivre au niveau national et à l’international.

Houda Belkhouda est lauréate de l’Institut national de l’action sociale (INAS), spécialité « développement territorial ». Elle est militante au sein de plusieurs associations, et journaliste passionnée par les phénomènes sociaux. Bénévole à la radio associative Houma TV, elle est formatrice en protection numérique. Elle est actuellement volontaire avec l’organisation CorpsAfrica pour le développement des régions touchées par le séisme du Haouz.
Ce reportage a été réalisé dans le cadre de la session Openchabab Environnement, avec le soutien de la Fondation Heinrich Böll.