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Trafic du cèdre au Moyen Atlas : Enquête sur une lente agonie

Le massif de l’Atlas abrite les trois quarts de la population mondiale des cèdres de l’Atlas. Les bonnes feuilles d’une enquête sur un patrimoine national en péril.

Note de l’éditeur : ENASS publie en partenariat avec la maison d’édition En Toutes Lettres deux extraits exclusifs de l’ouvrage collectif Maroc : Justice climatique et urgences sociales, 2021. Désertification, sécheresse, pollution, disparition d’écosystèmes, menaces sur la biodiversité… la dégradation de l’environnement constitue déjà dans toutes les régions du Maroc un grave problème de société, qui aggrave la précarité des plus fragiles, met en péril des savoir-faire et des modes de vie patrimoniaux et questionne les orientations économiques et politiques. Contre les pratiques de prédation et de greenwashing, une véritable prise de conscience est là, plaidant pour une approche verte et solidaire. A travers ce livre, douze journalistes et universitaires ont mené des enquêtes et reportages sur les questions environnementales et du changement climatiques avec un travail en profondeur sur les effets de ses changements sur les populations locales.

Enquête réalisée par Amine Belghazi* et Mohamed Sammouni ** 

Réputé pour sa longévité bimillénaire, le cèdre est très utile en dendroclimatologie car il permet de déterminer les grandes transformations climatiques dans les régions dans lesquelles il pousse. […] Ces particularités font du cèdre l’objet de toutes les convoitises. Mais les braconniers ou les petits délinquants, qui procèdent à la coupe illégale, ne sont pas forcément ceux qui profitent le plus de ce commerce parallèle.

Crédit photos : M.SA.B

Cette enquête nous emmène vers les sommets des montagnes du Moyen Atlas, à la rencontre des habitants des villages, des chefs des communautés tribales et des représentants des autorités locales, tous éparpillés dans cette région du Maroc dit « inutile ». Une région insuffisamment desservie par les routes et où les conditions climatiques, jumelées à l’isolement, contraignent les habitants à enfreindre les lois positives et celles de la nature pour subvenir à leurs besoins et à ceux de leurs familles.

[…]

À Tanourdi : Silence, ça coupe !

À Tanourdi, une localité située à quelques kilomètres au nord du village de Boumia, nous rencontrons Mohamed Haddaoui, membre de l’association Adrar pour la gestion des parcours et la préservation des ressources naturelles.

Sur notre chemin, des mulets vont et viennent au rythme des chargements de bois. « Vous voyez, ces jeunes-là, ils vont ramener du bois de manière illégale », commente-il d’une voix où la colère se mêle à l’indignation. Mohamed Haddaoui assiste en effet en témoin impuissant à la destruction du patrimoine forestier de sa région natale. Ici, la coupe clandestine est régulièrement pratiquée, comme en attestent des dizaines de photos et vidéos qu’il a réalisées dans le but d’alerter les autorités publiques… sans succès.

Il accuse directement les représentants de la délégation des Eaux et Forêts de connivence avec les braconniers. Une plainte a d’ailleurs été déposée auprès de différentes instances régionales et nationales.

Pour étayer ses propos, Mohamed Haddaoui nous emmène au poste de contrôle où sont supposés résider, de façon permanente, le garde forestier et deux membres des forces auxiliaires.

Nous empruntons un chemin sinueux et glissant, et, à 30 minutes du village de Tanourdi, nous atteignons une petite colline qui abrite son gîte et des refuges en bois pour les bêtes. Manifestement, il n’y a aucune trace de vie depuis plusieurs jours. Les neiges qui sont tombées quatre jours plus tôt forment un tapis uniforme qu’aucun être vivant n’a foulé avant notre arrivée. À l’intérieur des clôtures en fils métalliques qui bordent un des gîtes, est entreposé un amas de bois de chêne et de cèdres coupés.

Les abris réservés au bétail sont également dépeuplés. Ces cabanes en bois situées à quelques mètres à peine du gîte du garde-forestier sont fabriquées en chêne vert et en cèdre. D’après les images satellitaires, ces écuries de fortune ont été montées en septembre 2020. Avant cette date, aucun abri n’était construit. Au loin, le bal incessant des paysans à dos de mulets se poursuit vers le village de Tanourdi où le bois sera vendu à des intermédiaires, ou directement à des artisans-ébénistes.

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Un équilibre naturel menacé

Le trafic illégal du bois de cèdre présente une autre menace, beaucoup moins évidente à évaluer. Elle concerne le maintien de la biodiversité qui caractérise ce territoire unique au Maroc. La préservation de cet équilibre fragile est tributaire d’une série de mesures, dont la principale a été l’inscription de la région sur la liste du patrimoine mondial par l’UNESCO en 2016. Cette reconnaissance englobe 1 375 000 hectares étendus sur les massifs du Moyen et du Haut Atlas.

Le trafic illégal du bois de cèdre présente une autre menace, beaucoup moins évidente à évaluer. Elle concerne le maintien de la biodiversité.

Au niveau national, Aguelmam Azegza a été décrété parc national en 2008. C’est le plus récent des parcs nationaux au Maroc. S’il fait désormais partie des espaces protégés, cet équilibre naturel reste à ce jour particulièrement méconnu.

Azddine Gaiz, journaliste, diplômé en biologie et fervent militant écologiste, a dédié sa vie à cette région. Son regard affûté scrute la transformation de l’écosystème naturel et des modes de vie des espèces qui l’animent. Les dizaines de vidéos et de reportages qu’il a tournés et montés et qu’il diffuse sur sa chaîne Youtube ont été vus près de cinq millions de fois. Depuis plusieurs années, il se bat pour la préservation du patrimoine naturel de cette région contre l’appétit de délinquants appâtés par le gain facile que leur procure le trafic du cèdre. « La forêt de cèdres et les lacs avoisinants abritent une diversité d’espèces animales allant des oiseaux aux primates, en passant par les poissons. Avec le braconnage, certaines espèces, dont des familles d’oiseaux migrateurs, ont changé de comportement en choisissant la sédentarité…».

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Retrouvez l’enquête complète dans le livre Maroc : Justice climatique et urgences sociales, En Toutes Lettres, 2021. Pour les commandes, c’est ici.

* Amine Belgazi, journaliste, * Mohamed Sammouni, journaliste et fondateur de média Mupress.ma

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