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Des centres de migrants au Maroc : bientôt réalité ?

La création de centres « d’accueil » de migrants au Maroc est un projet européen depuis plusieurs années. Le royaume continue de s’y opposer. Zoom sur une nouvelle manœuvre européenne. 

Par Maelle Parfait 

Les représentants espagnols ont multiplié, ces derniers mois, les déclarations visant à délocaliser les camps de migrants espagnols au Maroc. La dernière en date remonte au 24 février 2025. Lors d’une conférence de presse, le maire d’Arrecife, ville de l’archipel des Canaries, a appelé le gouvernement espagnol à financer la mise en place de centres de retour au Maroc afin de pouvoir y envoyer les personnes se trouvant à bord des embarcations de fortune interceptées en mer. Débarqués dans les ports marocains, les exilés seraient pris en charge en dehors du territoire espagnol. Une solution toute trouvée pour faire face à l’engorgement du système d’accueil espagnol et qui semble s’inspirer directement de l’accord entre l’Italie et l’Albanie.

Le maire d’Arrecife dans les Canaries, a appelé le gouvernement espagnol à financer la mise en place de centres de retour au Maroc. 

Centres : Le Maroc « prêt à réfléchir »

Le Maroc c’est toujours opposé à l’idée d’ouvrir des centres de retour et d’accueil sur le territoire national. 

Si jusqu’alors le Maroc c’est toujours opposé à l’idée d’ouvrir des centres de retour et d’accueil sur le territoire national, il ne s’est pas montré fermé face à une nouvelle proposition émise par le président du gouvernement autonome des îles Canaries, en octobre dernier. Selon le media espagnol, El País, le Maroc s’est dit « prêt à réfléchir » à l’ouverture de centre permettant l’accueil des mineurs non accompagnés de nationalité marocaine arrivés sans titre de séjour et par bateau sur les îles Canaries. 

Selon le media espagnol, El País, le Maroc s’est dit « prêt à réfléchir » à l’ouverture de centre permettant l’accueil des mineurs non accompagnés. 

La prise en charge, en partenariat avec l’Organisation internationale pour les migrations (OIM), permettrait à l’Espagne de conserver sa tutelle sur les jeunes, tout en les maintenant à l’extérieur de son territoire. D’après l’Agence de presse africaine, 5 400 mineurs marocains pourraient être concernés par cette mesure. Une perspective qui, en plus d’exclure ces mineurs non accompagnés d’une évolution sur le territoire espagnol et donc de l’obtention d’un titre de séjour une fois leur majorité atteinte, entre en contradiction avec leur statut qui repose sur l’absence d’un titulaire de l’autorité parentale dans leur pays d’accueil. En ignorant les causes de leurs départs, l’Espagne et le Maroc risque d’amener ces jeunes à reprendre les routes migratoires.

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Pourtant, alors qu’en juin 2018, le Maroc avait déjà été cité par l’Union européenne comme un potentiel pays partenaire, aux côtés de l’Algérie et de la Tunisie, pour accueillir ce type de structure permettant l’externalisation de la gestion des mouvements migratoires à destination de l’UE, le ministre des Affaires étrangères marocain, Nasser Bourita, avait qualifié cette démarche de « solution facile » et de « mécanisme contre-productif ».

En 2022, l’UE a tout de même réitéré leur volonté de voir des centres d’accueil de migrants financés par l’Europe ouvrir au Maroc. 

La même année, la Commission européenne, dans un rapport visant à examiner la faisabilité d’une possible implantation de hotspots européens dans des pays tiers, jugeait que «l’application extraterritoriale du droit communautaire (…) n’est actuellement ni possible ni souhaitable» et que cette pratique pourrait s’apparenter à des refoulements. Une ambition qui reste donc irréalisable. En juillet 2022, les représentants de l’UE ont tout de même réitéré leur volonté de voir des centres d’accueil de migrants financés par l’Europe ouvrir au Maroc. 

Passif des tentatives européennes

Enfants à la frontière de Melilla rencontrés le 23 juin 2023 à Beni Ansar Nador. Crédit photo: ENASS

Les différentes initiatives bilatérales engagées par certains pays européens jouent le rôle d’expérimentations et ont donné une nouvelle impulsion, permettant d’engager le système européen dans de nouvelles négociations à Bruxelles. 

C’était le cas en 2016, en 2017 puis en 2018. Le premier essai pour installer un centre pour l’accueil de migrants était l’œuvre de la Suède en réponse à l’arrivée de Mineurs non accompagnés à ce pays. Cette tentative n’a pas été concluante et ce pays scandinave a fini par retirer son projet en septembre 2017. 

Le deuxième essai s’est fait par le biais d’un partenaire « solide » du Maroc, l’Allemagne en 2018.  A travers la GIZ, l’agence de coopération internationale allemande pour le développement, la ville de Marrakech devait ouvrir « un centre d’accueil et d‘orientation au plus tard en 2019 ». Ce centre s’inscrivait dans le cadre d’un plan d’action entre le Conseil municipal et la GIZ. Le centre de Marrakech voulait se baser sur l’expérience de centres similaires en Turquie. Finalement, ce projet ne connaitra jamais le jour en raison d’oppositions de la part de l’administration centrale (ministère de l’Intérieur et le Département des affaires des migrations de l’époque). À Nador, un projet espagnol similaire et portés par des associations marocaines était mort-né en 2016 à la suite de l’opposition de l’Association marocaine des droits humains-section de Nador. 

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Velléité européenne

Jeunes migrants marocains blessés le 16 septembre 2024. Crédit photo: ENASS

Sur le plan international, les tentatives de délocaliser le droit d’asile se multiplient. Malgré l’annulation de l’accord permettant la délocalisation de l’accueil des personnes arrivées illégalement au Royaume-Uni vers le Rwanda, les déboires juridiques qu’a connus le texte, ont permis d’envisager les possibilités de contourner l’Etat de droit et les protections acquises aux demandeurs d’asile. Il en va de même pour l’accord Italie/Albanie, qui prévoit le débarquement des personnes interceptées en mer dans des camps en Albanie, qui est pour l’instant suspendu. 

Les pressions répétées des autorités des îles Canaries font resurgir une veille velléité européenne, et s’inscrivent dans un agenda européen plus que favorable. Si la prochaine réforme de la directive « retour » pourrait bien être en passe de faciliter l’ouverture de tels centres dans des pays tiers de l’UE, cette pratique reste somme toute illégale au regard du droit international et des engagements de l’Espagne et du Maroc en matière de droit des migrants. Bien que ce genre de partenariat soulève des questions de souveraineté, cela semble difficilement conciliable avec l’approche d’une gestion humanisé des frontières prônée par le Maroc depuis l’adoption de la Stratégie nationale d’immigration et d’asile (SNIA). 

Même si l’ouverture de camps de migrants au Maroc est encore au stade d’ébauche dans les projets espagnoles et européens, et que les dernières déclarations restent ambiguës quant aux modalités ainsi qu’à l’effectivité, l’usure des derniers gardes fous imposés par l’État de droit aux pays européens ne fera que renforcer les pressions européennes sur ses pays partenaires, le Maroc en première ligne. Le Maroc est-il prêt à céder aux pressions européennes ? 

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