Nouvel accord Maroc-UE : Rabat temporise
Mi-janvier 2025 à Bruxelles, les températures dégringolent rapidement pour s’approcher du 0° degrés. Au centre-ville de la capitale européenne, les fonctionnaires européens s’activent pour rejoindre leurs bureaux depuis la station de Métro Schuman. Chaque rue de ce quartier d’affaires, compte une des nombreuses directions de la Commission européenne, nous sommes ici au cœur de la technostructure de l’UE.

Le Maroc comme plusieurs pays du voisinage européen font l’objet d’une attention particulière. Une direction leur a été réservée. Il s’agit du Directorat général Politique de voisinage et des négociations d’élargissement (NEAR), elles-mêmes en cours de réorganisation (voir infra). Nous sommes devant le siège de cette direction, rue de La Loi. Pour accéder à ce bâtiment austère, il faut montrer patte blanche : prise de rendez-vous préalable, scanner et présentation de passeport. Une équipe de la DG NEAR nous attend pour un rendez-vous de quelques minutes.
Passer à la vitesse supérieure
Des membres de l’association Avocats Sans frontières (ASF) sont venus plaider la cause des militant-e-s et journalistes tunisiens dans un contexte liberticide dans « Le pays du jasmin » où les dissidents ne respirent plus. Les responsables européens rencontrés se disent « inquiets » face à cette situation. Pourtant, la CE est l’un des principaux soutiens de l’actuel pouvoir en Tunisie avec les accords sur l’immigration irrégulière, juillet 2023. L’Union européenne (UE) discutait d’un accord « global » avec la Tunisie.
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« Pour le moment, toutes les discussions autour d’un futur accord sont en stand-by en raison d’une demande marocaine ».
Côté marocain, les deux arrêts de la Cour de Justice de l’UE rendus le 4 octobre 2024 sur deux accords conclus par l’UE avec le Maroc et sur l’étiquetage des produits issus du Sahara a gelé les premiers pourparlers entre les deux parties. « Pour le moment, toutes les discussions autour d’un futur accord sont en stand-by à la demande du Maroc », nous annonce un responsable de la DG NAER.
Les technocrates européens disent « attendre les actions politiques de haut niveau pour débloquer la situation avec le pays ». Ursula Von der Leyen, présidente de la CE devait se rendre au Maroc en février dernier, mais cette visite a dû être reportée, sans explication officielle. Probablement en raison des derniers développements sur la scène internationale, notamment l’évolution du conflit en Ukraine et la situation en Syrie. C’est le deuxième report de ce déplacement depuis le 4 octobre 2024. Pourtant, la nouvelle commission voulait passait à la vitesse supérieure dans sa coopération avec les pays du voisinage du sud de la Méditerranée. La nomination d’une nouvelle Commissaire pour la Méditerranée, Dubravka Suica, avaient bon espoir de la signature d’un nouveau « Partenariat stratégique et global » avec le Maroc comme ce fut le cas avec la Tunisie en juillet 2023, l’Egypte en mars 2024. La dimension migratoire est omniprésente dans le cas de la Tunisie et l’Egypte, soulevant des critiques sur les violations des droits humains dans ces deux pays partenaires, respectivement à hauteur de 1 et 7 milliards d’euros. Le Maroc était le prochain sur la liste de la CE.
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Le Maroc, prochaine cible de l’UE

Lors de son audition de confirmation en novembre 2024, la nouvelle Commissaire européenne pour la Méditerranée, Dubravka Suica, a qualifié, le Maroc de « partenaire clé et fiable » de l’UE dans la région méditerranéenne et au-delà dans le continent africain. Lors de son audition de trois heures devant les eurodéputés, Dubravka Šuica a affirmé qu’elle se concentrerait sur la signature de partenariats avec des pays extérieurs à l’UE, le Maroc et la Jordanie seraient les prochains sur la liste. « Les négociations ont commencé avec la Jordanie et nous visons le Maroc. Nous pensons que ces deux pays peuvent nous être utiles et que nous pouvons leur être utiles », a-t-elle ajouté.
L’UE fait miroiter soutien financier et politique. Le Maroc préfère temporiser.
Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, de la Coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger, avait rencontré Šuica le 17 décembre dernier. Lors de cet entretien, la commissaire européenne avait une nouvelle fois tenté de rassurer sur la qualité de ce partenariat : « Le Maroc est un partenaire clé et fiable de l’UE dans la région méditerranéenne et au-delà dans le continent africain ». La responsable européenne a souligné que ses entretiens « instructifs » avec M. Bourita, ont porté notamment sur « les moyens de renforcer conjointement le partenariat entre le Maroc et l’UE et ce dans tous les domaines qui contribuent à la croissance et la prospérité partagées », indique une dépêche de l’agence MAP. L’UE fait miroiter soutien financier et politique. Le Maroc préfère temporiser afin d’obtenir un soutien diplomatique et stratégique sur le dossier du Sahara. Pour sa part, la Jordanie a déjà franchi le pas avec un « Partenariat stratégique et global », fin janvier 2025.
Quel contenu d’un futur accord ?
« Nous aspirons à ne pas être dans une real politic car le Maroc est un partenaire crédible et de longue date ».
Pour le Maroc, le royaume ne semble pas pressé à franchir le pas d’un nouvel accord. « Les officiels marocains ont fermé, pour l’heure, toute négociation à ce propos », explique un responsable européen. « Nous souhaitons intégrer dans un même package, les différents niveaux de coopération. Nous aspirons à ne pas s’illustrer uniquement dans une real politic car le Maroc est un partenaire crédible et de longue date », souligne ce responsable. Ce dernier s’inquiète « de la pression migratoire sur les routes marocaines. L’année 2024 a connu une baisse depuis les côtes tunisiennes, en revanche une explosion migratoire fut visiblement notée depuis le Maroc ». Enfin, ce cadre européen regrette que « malgré les résultats tangibles de la Stratégique nationale d’immigration et d’asile, nous n’arrivons pas à avoir une discussion autour de cette politique en vue de la soutenir. C’est un domaine prometteur de la coopération entre l’UE et le Maroc ». Pour l’heure, la coopération et la gestion du dossier migratoire entre les deux parties, se limitent à de l’appui budgétaire direct à l’Etat marocain et un suivi des différents volets de la gestion sécuritaire des frontières. Ce qui n’est pas sans conséquences sur la liberté de circulation et les droits des personnes en migration.
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Inquiétudes sur les droits humains
Les derniers accords signés avec la Tunisie, la Mauritanie, l’Egypte et la Jordanie, évacuent la question des droits humains des personnes migrantes, au profit « d’une gestion des frontières » et « de la lutte contre le trafic des migrants ». Plusieurs ONG et experts ont tiré la sonnette d’alarme sur l’accord avec l’Egypte et la Tunisie.
« Ces accords constituent les nouvelles formes de l’externalisation avec ce que les officiels européens appellent les solutions innovantes, les hubs de retour, l’expansion de la notion de pays tiers sûr. Le tout avec de nouveaux accords avec ces pays tiers », alerte Elena Bizzi, Coordinatrice du programme Migration et Asile à EuroMed Droits, lors de la Rencontre régionale sur la migration en Méditerranée organisée à Rabat le 21 février dernier.
Obsession : Réadmission et retour
Abdelkrim Belguendouz, universitaire et spécialiste des questions migratoires est auteur de plusieurs ouvrages sur les risques encourus par les pays du Sud depuis l’adoption du Pacte européen sur l’immigration et l’asile. Dans son livre paru en 2021, Le Maroc réservoir de talents…pour l’UE.
Belguendouz : « Le Pacte refuse de se plier aux droits fondamentaux des migrants, une politique basée sur une démarche sécuritaire et répressive ».
Belguendouz décrit ce Pacte comme « un pacte européen CONTRE la migration et l’asile des Africains ! ». « […] il ne s’agit pas d’une plateforme fondée sur les droits humains, mais une politique qui refuse de se plier aux droits fondamentaux des migrants, une politique basée sur une démarche sécuritaire et répressive, qui fait fi des dispositions du droit international de l’asile et des normes des droits humains, une politique tendant à accélérer les retours forcés vers les pays tiers à travers des retours parrainés », écrit-il (p.39).
L’universitaire marocain prévient contre l’une des dispositions de ce Pacte, « l’obsession de la réadmission » : « […] La communication conjointe précitée sur le nouveau programme en Méditerranée (9 Février 2021). […] propose en conséquence notamment les deux mesures suivantes : « intensifier la coopération en matière de retour effectif et de réadmission; soutenir les mesures d’aide au retour volontaire et à la réintégration durable depuis l’UE, mais entre les différents pays partenaires…[…] Ceci constitue de notre point de vue un rappel insistant de l’UE pour que les accords communautaires de réadmission ne visent pas uniquement les ressortissants des pays d’origine en situation irrégulière au sein de l’UE, et qui auraient transité par ces mêmes pays, dont l’unique responsabilité serait de les réorienter vers leur lieu d’origine ». Le Maroc a résisté à ce type d’accords, mais jusqu’à quand ?
Migration de la DG NEAR…
Il est utile de rappeler que la DG NEAR a été remplacée dans le cadre d’un nouvel organigramme. La Commission européenne (CE) a créé une nouvelle direction générale pour le Moyen-Orient, l’Afrique du Nord et le Golfe (DG MENA).
Cette direction se concentrera « sur la promotion de partenariats portant sur l’investissement, la stabilité économique, l’emploi, l’énergie, les transports, la sécurité, la migration et d’autres domaines d’intérêt mutuel », annonce la CE. Cette direction nouvellement crée est sous la direction de la commissaire pour la Méditerranée, Dubravka Šuica. Cette nouvelle structuration compte, la DG MENA, qui relève plus de 500 agents, répartis au siège européen et dans les délégations de l’UE. Ce qui constitue une force de frappe, de négociation et d’expertise unifiée face à des pays de la région MENA divisée plus que jamais…